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de vos contemporains que celui de vous-même ; mais je vous demanderai toujours si ce serait avec autant de fermeté que si vous attendiez justice de l’avenir, et que vous fissiez quelque cas de ce tribunal : c’est ce que je ne crois pas, parce que cela ne peut être. Celui qui joint cet espoir et ce respect au témoignage de sa conscience, tout étant égal d’ailleurs, est plus fort que vous[1].

2° Je vous parle d’un homme en général, et vous vous citez ; c’est-à-dire que d’une question importante, tenant au bonheur de l’espèce humaine, à sa nature, à la législation, vous en faites une petite question particulière et individuelle. Et que m’importe qu’il y ait sur la surface de la terre deux ou trois monstres comme vous ? Il ne faut qu’un instant pour rendre à la vérité de ma proposition toute son universalité[2].

3° Mais êtes-vous bien sûr d’être un de ces monstres-là ? Qu’on relise l’endroit que vous avez vous-même cité de votre écrit sur la sculpture, et qu’on juge si l’artiste s’éloigne de quelque système particulier, qu’il ait le courage de travailler pour tous les temps et pour tous les pays. Cela est fort bien dit, vous répondra le contempteur des temps et des pays. Je suis, je suis ici, et je veux jouir. En m’asservissant à ce mauvais système, on me louera ; en m’en écartant, je serai blâmé… Mais la chance tournera… Oui, quand je serai mort[3].

Depuis que Voltaire a rempli un de ses hémistiches du nom de Pigalle, si cet artiste se dit à lui-même : Que la main du temps sévisse à présent sur mes ouvrages tant qu’elle voudra :

  1. « Oui, si celui à qui il faut deux appuis est plus fort que celui à qui il n’en faut qu’un. »
  2. « Vous avez raison ; d’une question générale, j’en ai fait une petite question particulière. C’est une grosse faute de logique. Cependant effacez de ma lettre : je connais cet homme, lisez : je connais un homme, et vous verrez qu’en conscience je ne pouvais pas mieux dire, puisqu’il ne m’est pas possible de répondre, tout au plus que de moi, dans cette affaire. Vous daignez m’associer un ou deux autres monstres, à qui, dites-vous, il ne faut qu’un instant pour les anéantir. Mon ami, de leurs cendres il en naîtra d’autres ; c’est une génération éternelle. »
  3. « Quand on a le courage de braver les modes et de ne s’attacher qu’au système de la nature, on travaille indubitablement pour tous les temps et pour tous les pays, sans penser à aucun temps, ni à aucun pays. Si on en est blâmé, ce n’est que par les caillettes ; et les caillettes sont de tous les temps et de tous les pays. »