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Allons donc, vous faites mille fois trop d’honneur aux poètes, lorsque vous dépouillez Polygnote de ses idées pour les leur accorder. Vous verrez que le groupe de ses guerriers devant l’autel n’est pas de lui ; que c’est un autre qui a imaginé de faire traîner sous les yeux du vieux Priam le cadavre de son père Laomédon, etc.

Je n’ai rien prêté, je n’ai rien ôté à Polygnote, j’ai écarté des détails d’érudition qui obscurcissaient l’entente de son tableau. Il y a des misères dans l’original, dites-vous ; eh bien ! je vous prie de m’en citer une.

Il ne s’agit pas, cher ami, de transformer en une composition sublime une tapisserie gothique par une description artificieuse, mais de faire trouver sublime cette tapisserie à ceux qui ont actuellement sous les yeux les chefs-d’œuvre de Raphaël, de Carache, de Corrège, de Guide, de Titien. Voilà le cas des Grecs par rapport à Polygnote.

Tout homme qui sent vivement et qui est digne de regarder des tableaux, des statues, et de lire des poètes, s’expose à faire le rôle de Mathanasius, et il est toujours honnête à son ami de l’en avertir.

Il ne s’agit pas de savoir si Polygnote a fait un trait de génie de ne montrer sur le rivage que le vaisseau de Ménélas, mais si celui qui trouve que l’artiste a senti finement, et qu’il a montré un goût, un esprit peu commun en hâtant le départ de Ménélas et de sa belle exécrable, est aussi plat que le commentateur de Catho, belle bergère, dormez-vous, et c’est ce que je vous demande afin de savoir si je dois m’appeler Mathanasius ou Dionysius Diderot Halicarnassensis.

Eh ! mon ami, je ne confonds point la pensée d’un tableau avec son exécution ; et il y a longtemps que je sais que l’une de ces choses est à l’autre comme la versification à la poésie.

Sans technique, point de peinture, il est vrai ; mais que m’importe la peinture sans idées ; et à tout prendre j’aime encore mieux des idées que la couleur ; en prenant les mots dans toute leur rigueur, il me semble que vos bas-reliefs se passent plus aisément de couleurs que les compositions de Robert (j’écris le premier qui me vient) ne se passent d’idées.

Vous m’exhortez de relire Pausanias pour savoir à qui appartient l’idée de Néoptolème continuant le massacre des Troyens