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bonne volonté des conservateurs des deux départements et de M. l’administrateur général lui-même, le manuscrit se trouve-t-il de nouveau égaré. Nous le regrettons d’autant plus que nous eussions peut-être pu savoir de qui est la note préliminaire où la Lettre est sévèrement jugée et qui semble émaner du lieutenant de police lui-même.

Dans la liste, aujourd’hui impossible à dresser, des travaux dont Diderot se chargeait pour subvenir à ses menues dépenses, cette longue lettre doit tenir le premier rang par la chaleur qu’il y a répandue et qui en fait un véritable plaidoyer. Il n’est ici, en effet, il a soin de le dire, que l’avocat des libraires, car il souhaiterait pour sa part l’abolition de toutes les communautés. Ce qui frappe le plus aujourd’hui dans son mémoire, ce n’est pas l’habileté qu’il déploie à défendre une cause dont les éléments nous échappent et pour lesquels nous renvoyons d’ailleurs au livre de MM. Laboulaye et Guiffrey ; ce sont des pensées telles que celles-ci : « C’est le sort de presque tous les hommes de génie : ils ne sont pas à la portée de leur siècle, ils écrivent pour la génération suivante ; » c’est la peinture de la joie et des exigences légitimes d’un auteur quand son premier livre a réussi, ce sont enfin des détails personnels précieux comme le passage où il estime à 40,000 écus le fruit de ses occupations littéraires.

L’historien que la librairie attend encore trouvera aussi dans ce factum des renseignements à ne pas négliger sur les livres de classe, sur le colportage et sur les contrefaçons, cette plaie à peine fermée depuis quelques années. Peut-être sera-t-on surpris de voir Diderot conseiller à un magistrat d’user très-fréquemment des permissions tacites ; mais c’était alors la seule ressource de la liberté de la presse ; il prêchait d’ailleurs pour sa propre paroisse, car les ouvrages « dangereux » de Montesquieu et de Rousseau avaient encore moins besoin de cette liberté que l’Encyclopédie, dont Le Breton distribuait précisément vers cette époque les derniers volumes aux souscripteurs désignés par M. de Sartine ; encore le devait-il faire en secret « pour qu’on n’abusât point de cette facilité ».