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et l’on n’en était point offensée. Je devine une partie des raisons qui le faisaient balancer. Si vous me les demandez, après votre décision, je vous les dirai. À dimanche la suite de ce bavardage. C’est toujours ma treizième ; je suis têtu.


LXVIII


Le 31 juillet 1762.


Je continue ; et pour en venir à ce que vous pensez sur le jeu, je suis plus indulgent que vous. Je permets qu’on pousse du coude son ami. Je m’y attends. Tout ce que la passion inspire, je le pardonne. Il n’y a que les conséquences qui me choquent. Et puis, vous le savez, j’ai de tout temps été l’apologiste des passions fortes ; elles seules m’émeuvent. Qu’elles m’inspirent de l’admiration ou de l’effroi, je sens fortement. Les arts de génie naissent et s’éteignent avec elles ; ce sont elles qui font le scélérat, et l’enthousiaste qui le peint de ses vraies couleurs. Si les actions atroces, qui déshonorent notre nature, sont commises par elles, c’est par elles aussi qu’on est porté aux tentatives merveilleuses qui la relèvent. L’homme médiocre vit et meurt comme la brute. Il n’a rien fait qui le distinguât pendant qu’il vivait ; il ne reste de lui rien dont on parle, quand il n’est plus ; son nom n’est plus prononcé, le lieu de sa sépulture est ignoré, perdu parmi les herbes. D’ailleurs les suites de la méchanceté passent avec les méchants, celles de la bonté restent, comme je disais une fois à Uranie. S’il faut opter entre Racine méchant époux, méchant père, ami faux et poëte sublime, et Racine bon père, bon époux, bon ami et plat honnête homme, je m’en tiens au premier. De Racine méchant que reste-t-il ? Rien. De Racine homme de génie ? L’ouvrage est éternel…

Vous vous trompez ; elle n’est point coquette ! mais elle s’est aperçue que cet intérêt vrai ou simulé que les hommes protestent aux femmes les rend plus vifs, plus ingénieux, plus attentionnés, plus gais ; que les heures se passent ainsi plus