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Le livre de Boulanger est très-rare ici[1] ; nous en avons fait venir, par la poste, deux ou trois exemplaires qu’on nous a souillés. Sachez d’Uranie si l’épître dédicatoire est à son exemplaire. Nous aurons Émile pour peu de chose, et je ne tarderai pas de l’envoyer à Morphyse.

Je n’ai pas encore vu M. Duval, et je me le reproche.

Hier j’aperçus Fayolle et Mélanie aux Tuileries, Mélanie en beau taffetas blanc, mais fort changée ; Fayolle plus vermeil que la rose au matin, et entre le frère et la sœur, une jeune personne assez grande, mesquinement vêtue, mais d’une figure et d’une taille qui se faisaient remarquer. Je ne sais qui elle est. Je ne pense pas l’avoir jamais vue ni chez vous ni chez Mme de Solignac.

Je vous parlerai une autre fois de mon nouvel arrangement avec mes libraires, si vous m’en faites ressouvenir.

Mme Diderot a été fort malade de la petite poste ; c’est ainsi qu’ils appellent la maladie courante. Elle se porte mieux ; il ne lui est resté qu’une douleur vers le pli de l’aine, et qu’une mauvaise humeur qui chassera de chez moi la pauvre Jeanneton ; il est impossible qu’elle tienne ; j’en suis fâché, les domestiques passables ne sont pas communs.

Je ne suis plus surpris que vous vous fassiez au séjour d’Isle ; on est heureux partout où l’on fait le bien : aimer ou faire le bien, c’est, comme vous savez, ma devise. Vous pensez juste, il ne suffit pas de faire le bien, il faut encore le bien faire. Continuez. Soulagez les malheureux ; c’est le vrai moyen de vous consoler de mon absence. Je disais au Baron, lorsqu’il perdit sa première femme, et qu’il croyait qu’il n’y avait plus de bonheur pour lui dans la vie : « Sortez de chez vous, courez après les malheureux, soulagez-les, et vous vous plaindrez après de votre sort, si vous l’osez. »

Rousseau, dont vous me parlez encore, fait un beau vacarme à Genève. Les peuples, irrités de la présomption de l’auteur et de ses ouvrages, se sont assemblés en tumulte, et ont déclaré unanimement au consistoire des ministres que la Profession de foi du Vicaire savoyard était la leur. Eh bien ! voilà un petit événement, de rien en lui-même, qui aura fait abjurer en un jour la religion chrétienne à vingt mille âmes. Oh ! que ce

  1. Recherches sur l’origine du despotisme oriental, Genève, 1761, in-12.