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LXVI


Paris, le 25 juillet 1762.


Je croyais avoir rétabli la paix dans notre société. Je me suis trompé. La dame de la Briche[1] exige des excuses et des réparations ; le silence aurait tout arrangé ; mais ils n’ont pas voulu se taire, et voilà une femme qui ne reparaîtra plus parmi nous et un homme qui s’en exclura, parce qu’il s’y croira obligé par décence ; et puis des caquets sans fin. J’en ai des vapeurs ; au reste mon parti est tout pris, c’est de me tenir à l’écart et d’attendre le moment de refaire le rôle de pacificateur, le seul qui me convienne, et de tenir mes doigts dans mes oreilles, afin d’ignorer le mal qu’ils vont dire les uns des autres.

L’ami Le Roy boude toujours Mme de… Il fallait donc qu’il se crût bien sûr de son fait. Il est venu dîner avec nous jeudi. Il avait le visage de la mauvaise conscience. Il se proposait de monter à cheval sur le soir avec sa bien-aimée, qui ne s’en est pas souciée, et il n’en a boudé que davantage ; mais Mme de… dit que les boudeurs se corrigent eux-mêmes, quand on ne les regarde pas.

Je ne sais où en sont les affaires de Suard, mais il me semble un peu remis. Serait-ce qu’il y a des remords qui s’étouffent par la répétition du crime ? Je ne sais, mais si je vous étais une fois infidèle, il me semble que je ne m’en tiendrais pas là ; il ne faut donc pas commencer.

M. Suard nous présenta un Français tout frais débarqué de Copenhague. Cet homme nous débita des choses incroyables de l’amour des peuples pour leur souverain et de l’amour du souverain pour les peuples. On dirait que c’est chez le Danois que le patriotisme s’est réfugié. Voici une scène dont il a été témoin, et que vous voudriez bien avoir vue. C’était à l’installation de la statue équestre du roi, sur une des places publiques de la capitale ; le concours du peuple était immense. Le mo-

  1. Mme d’Épinay.