Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

péril, il envoie chercher son avocat, et lui dit : « Mais, monsieur, on dit que je serai pendu. — Je le savais, lui répond froidement l’avocat, c’est ce que vous méritez. » Cet avocat a-t-il bien ou mal fait ? Il y a là de quoi disputer trois jours et trois nuits sans cesser. Je vous embrasse mille fois, mille fois.


LXIV


À Paris, le 19 octobre 1761.


J’ai commencé mes tournées en même temps que vous les vôtres. Un jour à Massy, deux jours à la Chevrette, deux autres au Grandval. Je ne vous dis rien de ces petits voyages : ils ont été trop courts pour donner lieu à des scènes amusantes.

Me suis-je trompé, mon amie, lorsque j’ai pensé qu’on ne sentait de la reconnaissance des services reçus que quand l’amitié s’affaiblissait ? Je vous en dirai des raisons qu’Uranie trouvera au fond de son cœur ; vous les lui demanderez… On se soulage d’un bienfait qui pèse par un bienfait beaucoup plus grand. Cette dette une fois payée, on est quitte.

J’ai vu et revu le comte de Lauraguais. Il soutient toujours, à cor et à cri, l’honnêteté de son amie. Il est sûr qu’il en est fou. Il vient de faire en son nom une plaisanterie en prose qui ne m’a pas déplu. Si j’osais, je vous ferais l’horoscope de cet homme. Il court après la considération ; il en exige plus qu’il n’en pourra jamais obtenir ; il s’ennuiera, et finira par casser sa mauvaise tête d’un coup de pistolet.

Nous craignons qu’on n’accuse Voltaire de toutes ses nouvelles extravagances ; mais après tout, qu’est-ce que cela peut faire à Voltaire ? Celui qui publie des ouvrages aussi hardis que la Lettre de M. Gouju[1] et tant d’autres s’est mis apparemment au-dessus de toute frayeur… À propos de cette Lettre de M. Gouju, les jansénistes viennent d’en donner une édition. En vérité, je crois qu’un janséniste foulerait aux pieds un cru-

  1. Lettres de Charles Gouju à ses frères, dans les Facéties de Voltaire.