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qu’il est impossible qu’un homme se ruine sans en enrichir d’autres ; c’est que nous aimons mieux des vices qui nous servent en nous amusant, que des vertus qui nous rabaissent en nous chagrinant ; c’est qu’ils sont remplis d’indulgence pour leurs défauts, entre lesquels il y en a aussi que nous avons ; c’est qu’ils ajoutent sans cesse à notre estime par le mépris que nous faisons d’eux ; c’est qu’ils nous mettent à notre aise ; c’est qu’ils nous consolent de notre vertu par le spectacle amusant du vice ; c’est qu’ils nous entretiennent de ce que nous n’osons ni parler ni faire ; c’est que nous sommes toujours un peu vicieux ; c’est qu’ordinairement les libertins sont plus aimables que les autres, qu’ils ont plus d’esprit, plus de connaissance des hommes et du cœur humain ; les femmes les aiment, parce qu’elles sont libertines. Je ne suis pas bien sûr que les femmes se déplaisent sincèrement avec ceux qui les font rougir. Il n’y a peut-être pas une honnête femme qui n’ait eu quelques moments où elle n’aurait pas été fâchée qu’on la brusquât, surtout après sa toilette. Que lui fallait-il alors ? Un libertin. En un mot, un libertin tient la place du libertinage qu’on s’interdit : et puis ils sont si communs que, s’il fallait les bannir de la société, les dix-neuf vingtièmes des hommes et des femmes en seraient réduits à vivre seuls. On les reçoit, parce qu’on ne veut pas trouver les portes fermées. On est, on a été, et peut-être un jour sera-t-on libertin. Que cela soit ou non, on a été tenté de l’être. À tout hasard, une femme est bien aise de savoir que, si elle se résout, il y a un homme tout prêt qui ménagera sa vanité, son amour-propre, sa vertu prétendue, et qui se chargera de toutes les avances. C’est trop peu de la violence même qu’on souhaite pour excuse. Presque tous les libertins sont galants, orduriers, et cætera. J’entends, vous approuvez mes sentiments par leur conformité avec ceux d’Uranie ; cela est moins obligeant pour moi que pour Uranie, dont la façon de penser n’a pas besoin auprès de vous de mon autorité.

Mlle Arnould ? Eh bien ! Mlle Arnould a renvoyé, chez M. de Lauraguais, chevaux, équipages, vaisselle d’argent, bijoux, linge, en un mot tout ce qu’elle avait à son amant. Cela me déplaît plus que je ne saurais vous le dire. Cette fille a deux enfants de lui ; cet homme est de son choix ; il n’y a point eu