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saurais plus me repaître de fumée. Un repos délicieux, une lecture douce, une promenade dans un lieu frais et solitaire, une conversation où l’on ouvre son cœur, où l’on se livre à toute sa sensibilité, une émotion forte qui amène des larmes sur le bord des paupières, qui fait palpiter le cœur, qui coupe la voix, qui ravit d’extase, soit qu’elle naisse ou du récit d’une action généreuse, ou d’un sentiment de tendresse, de la santé, de la gaieté, de la liberté, de l’oisiveté, de l’aisance : le voilà, le vrai bonheur, je n’en connaîtrai jamais d’autre. Il faut seulement jeter les yeux à quelques lieues de soi, prévoir le moment où les yeux de ma petite fille s’ouvriront, où sa gorge s’arrondira, où sa gaieté tombera, où elle commencera à devenir soumise, où il s’élèvera dans ses sens un trouble inconnu, dans son cœur un je ne sais quel désir. Ce sera alors aussi le temps des rêves pendant la nuit, des soupirs étouffés, des regards furtifs sur les hommes pendant le jour, et celui de partager ma petite fortune en deux. Il faudra que ce que je lui en céderai suffise à son aisance, et que ce qui m’en restera suffise à la mienne. Adieu, mes bonnes amies. Disputez bien sur Clarisse. Soyez sûres que c’est vous qui sentez juste. Morphyse a une ou deux vues de côté qui la font dire tout de travers. Je vous embrasse de toute mon âme. Les sentiments de tendresse et d’amitié que vous m’avez inspirés font et feront à jamais la partie la plus douce de mon bonheur.


LXII


À Paris, le 7 octobre 1761.


J’attendais avec impatience ce numéro 32. Je craignais que votre complaisance ne vous eût conduite, soit à la promenade, soit au loin, et que vous n’eussiez été incommodée de ces premiers froids. L’hiver nous rend visite en automne… Tout est raccommodé ; cela s’est fait comme vous le désiriez, mais par hasard, sans que nous nous en soyons mêlés ni l’un ni l’autre… Mes amies, évitons toute notre vie la logique des ingrats. Vous n’avez oublié aucune des conditions qui vous dispensent de la