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habiles gens ; ce sont tous nos honnêtes gens ; ce sont tous mes amis.

Depuis que la nouvelle des bienfaits récents de Sa Majesté s’est répandue, voilà les hommes dont je suis entouré. Que ne peut-elle être témoin de leurs embrassements ! Que ne peut-elle entendre les éloges qui les accompagnent ! Quel spectacle pour son âme ! Quel concert pour son oreille ! « Qu’elle est grande, s’écrient-ils, qu’elle est noble, cette souveraine ! quelle délicatesse elle met à tout ! Nous autres hommes, continuent-ils, nous n’avons que des vertus d’emprunt ; une âme moitié nôtre, moitié à ceux qui la pétrissent dans l’enfance. On nous fait ce que nous sommes. Une femme, quand elle est grande, l’est d’elle-même. Elle ne doit rien qu’au ciel qui la forma ; et quand elle agit, il y paraît bien. »

Voilà les discours qui retentissent autour de moi. Cependant une épouse sensible, une mère tendre qui les entend, en verse des larmes de joie. Elle est debout à côté de son enfant qui la tient embrassée. Je les regarde et je ne sais plus ce que je deviens. Un noble enthousiasme me gagne ; mes doigts se portent d’eux-mêmes sur une vieille lyre dont la philosophie avait coupé les cordes. Je la décroche de la muraille où elle était restée suspendue ; et la tête nue, la poitrine découverte, comme c’est mon usage, je me sens entraîné à chanter ;


Vous, qui de la Divinité
Nous montrez sur le trône une image fidèle ;
Vous, qui partagez avec elle
Le plaisir, par les rois si rarement goûté,
De consacrer l’autorité,
Sans cesse formidable et quelquefois cruelle,
Au bonheur de l’humanité ;
Souffrez qu’aujourd’hui je révèle,
Entre tant de vertu, cette unique bonté
Qui seule aurait suffi pour vous rendre immortelle.
Je servirais mon siècle et la postérité
Si, dans l’ivresse de mon zèle,
Je peignais dignement de ma félicité
L’histoire touchante et nouvelle ;
Si je pouvais apprendre aux rois
Que Catherine, leur modèle,
Dédaignant ces affreux et trop communs exploits
Qui malheureusement conduisent à la gloire,