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J’en appelle à tous mes amis, à vous-même ; je ne suis aucunement tyran des opinions, je dis mes raisons et j’attends ; j’ai remarqué plusieurs fois au bout d’un certain temps que mon adversaire et moi nous avions tous les deux changé d’avis. Je ne désespère pas qu’un jour je ne croie à l’utilité des moines, et que vous n’y croyez plus. Ce que je dirai quand je verrai de votre façon un ouvrage en faveur de la religion chrétienne ? Je dirai que vous avez fait le plus grand abus de l’esprit qu’il était possible de faire ; cette religion étant à mon sens la plus absurde et la plus atroce dans ses dogmes ; la plus inintelligible, la plus métaphysique, la plus entortillée et par conséquent la plus sujette à divisions, sectes, schismes, hérésies, la plus funeste à la tranquillité publique, la plus dangereuse pour les souverains par son ordre hiérarchique, ses persécutions et sa discipline, la plus plate, la plus maussade, la plus gothique et la plus triste dans ses cérémonies, la plus puérile et la plus insociable dans sa morale considérée non dans ce qui lui est commun avec la morale universelle, mais dans ce qui lui est propre et ce qui la constitue morale évangélique, apostolique et chrétienne, la plus intolérante de toutes ; je dirai que vous avez oublié que le luthéranisme débarrassé de quelques absurdités est préférable au catholicisme, le protestantisme au luthéranisme, le socinianisme au protestantisme, le déisme, avec des temples, des cérémonies, au socinianisme : je dirai que puisqu’il faut que l’homme superstitieux de la nature ait un fétiche, le fétiche le plus simple et le plus innocent sera le meilleur de tous. Je dirai que, puisque l’idée de ce fétiche est sujette à varier comme toutes les autres chimères, le seul moyen d’ôter aux diverses opinions leur danger effroyable c’est de les tolérer toutes sans aucune exception, et de les décrier les unes par les autres, en les rapprochant les unes des autres. Je dirai que si le ministère avait le bon jugement de n’attacher aucune prérogative, aucune distinction, à certaine façon de parler et de penser en matière de religion, on aurait atteint tout ce qu’il y aurait de mieux ; je finirai par dire qu’un mystère est encore bien barbare, quand il n’a pas songé à pourvoir à la chose à laquelle l’homme attache plus d’importance qu’à sa fortune, sa liberté, son honneur et sa vie.

Il est vrai que l’impératrice vient de me donner une marque