Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/478

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’écrire en mon nom un mot à M. de Schouvalof, comme je vous en supplie, vous ne manquerez pas de faire valoir cette conformité de vues entre la princesse régnante et le plus grand monarque qui soit. L’un et l’autre n’ont pas dédaigné de nous tendre la main, et cela dans ces circonstances où l’on ne s’occupe d’une entreprise de littérature que quand on a reçu une de ces têtes rares qui embrassent tout à la fois. Par les offres qu’on nous fait, je vois qu’on ignore que le manuscrit de l’Encyclopédie ne nous appartient pas ; qu’il est en la possession des libraires qui l’ont acquis à des frais exorbitants, et que nous n’en pouvons distraire un feuillet sans infidélité. Quoi qu’il en soit, ne croyez pas que le péril que je cours en travaillant au milieu des barbares me rende pusillanime. Notre devise est : sans quartier pour les superstitieux, pour les fanatiques, pour les ignorants, pour les fous, pour les méchants et pour les tyrans, et j’espère que vous le reconnaîtrez en plus d’un endroit. Est-ce qu’on s’appelle philosophe pour rien ? Quoi ! le mensonge aura ses martyrs, et la vérité ne sera prêchée que par des lâches ? Ce qui me plaît des frères, c’est de les voir presque tous moins unis encore par la haine et le mépris de celle que vous avez appelé l’infâme que par l’amour de la vérité, par le sentiment de la bienfaisance, et par le goût du vrai, du bon et du beau, espèce de trinité qui vaut un peu mieux que la leur. Ce n’est pas assez que d’en savoir plus qu’eux, il faut leur montrer que nous sommes meilleurs, et que la philosophie fait plus de gens de bien que la grâce suffisante ou efficace. L’ami Damilaville vous dira que ma porte et ma bourse sont ouvertes à toute heure et à tous les malheureux que mon bon destin m’envoie ; qu’ils disposent de mon temps et de mon talent, et que je les secoure de mes conseils et de mon argent ; c’est ainsi que je sers la cause commune, et les fanatiques qui m’environnent le voient et en frémissent de rage. Ils voudraient bien, les pervers qu’ils sont, que je les autorisasse par quelque mauvaise action à décrier nos sentiments ; mais, ventrebleu ! il n’en sera rien. Ils en sont réduits à dire que Dieu ne permettra pas que je meure dans mon incrédulité, et qu’un ange descendra sans faute pour me ramener, dans mes derniers moments : et moi, je leur promets de revenir à leur absurdité si l’ange descend. Cette manie de n’accorder de la probité qu’à ses sec-