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XX

À VOLTAIRE.
19 février 1758.

Je vous demande pardon, monsieur et cher maître, de ne vous avoir pas répondu plus tôt. Quoi que vous en pensiez, je ne suis que négligent. Vous dites donc qu’on en use avec nous d’une manière odieuse, et vous avez raison. Vous croyez que j’en dois être indigné, et je le suis. Votre avis serait que nous quittassions tout à fait l’Encyclopédie ou que nous allassions la continuer en pays étranger, ou que nous obtinssions justice et liberté dans celui-ci. Voilà qui est à merveille ; mais le projet d’achever en pays étranger est une chimère. Ce sont les libraires qui ont traité avec nos collègues ; les manuscrits qu’ils ont acquis ne nous appartiennent pas, et ils nous appartiendraient qu’au défaut des planches, nous n’en ferions aucun usage. Abandonner l’ouvrage, c’est tourner le dos sur la brèche, et faire ce que désirent les coquins qui nous persécutent. Si vous saviez avec quelle joie ils ont appris la désertion de d’Alembert et toutes les manœuvres qu’ils emploient pour l’empêcher de revenir ! Il ne faut pas s’attendre qu’on fasse justice des brigands auxquels on nous a abandonnés, et il ne nous convient guère de le demander ; ne sont-ils pas en possession d’insulter qui il leur plaît sans que personne s’en offense ? Est-ce à nous à nous plaindre, lorsqu’ils nous associent dans leurs injures avec des hommes que nous ne vaudrons jamais ? Que faire donc ? Ce qui convient à des gens de courage : mépriser nos ennemis, les poursuivre, et profiter, comme nous avons fait, de l’imbécillité de nos censeurs. Faut-il que, pour deux misérables brochures, nous oubliions ce que nous nous devons à nous-mêmes et au public ? Est-il honnête de tromper l’espérance de quatre mille souscripteurs, et n’avons-nous aucun engagement avec les libraires ? Si d’Alembert reprend et que nous finissions, ne sommes-nous pas