Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/454

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


XIII

AU MÊME


Janvier 1757.

Il est vrai qu’il y a quinze ans que j’ai femme, enfant, domestique, nulle fortune, et que ma vie est si pleine d’embarras et de peines que souvent même je ne peux jouir de quelques heures de bonheur et de relais que je me promets. Mes ennemis en font, selon leur caractère, un sujet de plaisanterie ou d’injure. Après cela, de quoi aurais-je à me plaindre ? Je ne veux plus aller à Paris. Je n’irai plus, pour cette fois je l’ai résolu. Il n’est pas absolument impossible que ce soit là le ton de la raison.

Vous ne savez quelle peut être l’affaire que j’ai à vous proposer, cependant vous la refusez et m’en remerciez. Mon ami, je ne vous ai jamais rien proposé qui ne fut honnête, et je n’ai pas changé de ce que j’étais.

À peine y a-t-il quinze jours que le temps où j’ai dû vous parler de votre ouvrage est expiré, il fallait en conférer ensemble ; il le faut, et vous ne voulez pas venir à Paris. Eh bien, samedi matin, quelque temps qu’il fasse, je pars pour l’Ermitage. Je partirai à pied, mes embarras ne m’ont permis d’y aller plus tôt, ma fortune ne me permet pas d’y aller autrement, et il faut bien que je me venge de tout le mal que vous me faites depuis quatre ans.

Quelque mal que ma lettre ait pu vous faire, je ne me repens pas de vous l’avoir écrite. Vous êtes trop content de votre réponse, vous ne reprocherez point au ciel de vous avoir donné des amis. Que le ciel vous pardonne leur inutilité !

Je suis encore effrayé du danger de Mme Levasseur, et je n’en reviendrai que quand je l’aurai vue (je vous dirai tout bas que la lecture que vous lui avez faite de votre lettre pouvait être un sophisme bien inhumain), mais à présent elle vous doit la vie et je me tais.