Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/423

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

court, faisait frire des poissons dans une auberge ; de jeunes libertins relevaient son cotillon court par derrière, et la caressaient très-librement. Elle sort de là ; elle circule dans la société, et subit toutes sortes de métamorphoses jusqu’à ce qu’elle arrive à la cour d’un souverain. Alors toute une capitale retentit de son nom ; toute une cour se divise pour et contre elle ; elle menace les ministres d’une chute prochaine, elle met presque l’Europe en mouvement[1]. Et qui sait tous les autres ridicules passe-temps du sort ? Il fait tout ce qu’il lui plaît. C’est bien dommage qu’il lui plaise si rarement de faire des heureux.

Si vous êtes sage, vous laisserez au sort le moins de lisières que vous pourrez, vous songerez de bonne heure à vivre comme vous voudriez avoir vécu. À quoi servent toutes les leçons sévères que vous avez reçues, si vous n’en profitez pas ? Vous êtes si peu maîtresse de vous-même ! Entre toutes les marionnettes de la Providence, vous êtes une de celles dont elle secoue le fil d’archal qui l’accroche d’une manière si bizarre que je ne vous croirai jamais qu’où vous êtes, et vous n’êtes pas à Paris, et vous n’y serez peut-être pas sitôt.

Il est bien honnête à vous de me proposer de me faire graver, presque aussi honnête qu’il serait vain à moi de l’accepter ; mais c’est une affaire faite. Un artiste[2], que j’avais obligé et qui m’estimait, me dessina, me fit graver et graver supérieurement, et m’envoya la planche avec une cinquantaine d’épreuves. Ainsi l’on vous a coupé l’herbe sous les pieds.

Bonjour, mademoiselle, portez-vous bien, usez de circonspection, ne corrompez pas vous-même votre propre bonheur, et croyez que la vraie récompense de celui qui mérite de nous obliger est dans les petits services mêmes qu’il nous rend.

  1. Mme Du Barry.
  2. Greuze.