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vous écris encore, je finirai mes lettres avec toutes les politesses accoutumées.


III

À LA MÊME, À VARSOVIE.


Mademoiselle, nous avons reçu toutes vos lettres, mais il nous est difficile de deviner si vous avez reçu toutes les nôtres. Je suis satisfait de la manière dont vous en usez avec madame votre mère. Conservez cette façon d’agir et de penser. Vous en aurez d’autant plus de mérite à mes yeux, qu’obligée, par état, à simuler sur la scène toutes sortes de sentiments, il arrive souvent qu’on n’en conserve aucun, et que toute la conduite de la vie ne devient qu’un jeu, qu’on ajuste comme on peut aux différentes circonstances où l’on se trouve.

Mettez-vous en garde contre un ridicule qu’on prend imperceptiblement, et dont il est impossible dans la suite de se défaire : c’est de garder, au sortir de la scène, je ne sais quel ton emphatique qui tient du rôle de princesse qu’on a fait. En déposant les habits de Mérope, d’Alzire, de Zaïre ou de Zénobie, accrochez à votre porte-manteau tout ce qui leur appartient. Reprenez le propos naturel de la société, le maintien simple et honnête d’une femme bien née. Ne vous permettez à vous-même aucun propos libre, et, s’il arrive qu’on en hasarde en votre présence, ne les entendez jamais. Dans une société d’hommes, distinguez, adressez-vous de préférence à ceux qui ont de l’âge, du sens, de la raison et des mœurs. Après les soins que vous prendrez de vous faire un caractère estimable, donnez tous les autres à la perfection de votre talent. Ne dédaignez les conseils de personne. Il plaît quelquefois à la nature de placer une âme sensible et un cœur très-délicat dans un homme de la condition la plus commune. Occupez-vous surtout à avoir les mouvements doux, faciles, aisés et pleins de grâce. Étudiez là-dessus les femmes du grand monde, celles du premier rang, quand vous aurez le bonheur de les approcher. Il est important, quand on se montre sur la scène, d’avoir le premier moment pour soi, et