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blé que mon estime ne vous était pas indifférente ; songez, mademoiselle, que je vais vous juger, et ce n’est pas, je crois, mettre cette estime à trop haut prix que de l’attacher aux procédés que vous aurez avec votre mère, surtout dans une circonstance telle que celle-ci. Si vous avez résolu de la secourir comme vous le devez, ne la laissez pas attendre. Ce qui n’est que d’humanité pour nous est de premier devoir pour vous ; ce n’est pas assez que de prêcher la bonté, il faut être bonne ; il ne faut pas qu’on dise que sur les planches et dans la chaire, l’acteur et le docteur de Sorbonne sont également soigneux de recommander le bien et habiles à se dispenser de le faire. J’ai le droit par mon âge, par mon expérience, l’amitié qui me liait avec monsieur votre père, et l’intérêt que j’ai toujours pris à vous, d’espérer que les conseils que je vous donnerai sur votre conduite et votre caractère ne seront point mal pris. Vous êtes violente ; on se tient à distance de la violence, c’est le défaut le plus contraire à votre sexe, qui est complaisant, tendre et doux. Vous êtes vaine ; si la vanité n’est pas fondée, elle fait rire ; si l’on mérite en effet toute la préférence qu’on s’accorde à soi-même, on humilie les autres, on les offense. Je ne permets de sentir et de montrer ce qu’on vaut que quand les autres l’oublient jusqu’à nous manquer. Il n’y a que ceux qui sont petits qui se lèvent toujours sur la pointe des pieds. J’ai peur que vous ne respectiez pas assez la vérité dans vos discours. Mademoiselle, soyez vraie, faites-vous en l’habitude ; je ne permets le mensonge qu’au sot et au méchant ; à celui-ci pour se masquer, à l’autre pour suppléer à l’esprit qui lui manque. N’ayez ni détours, ni finesses, ni ruses, ne trompez personne ; la femme trompeuse se trompe la première. Si vous avez un petit caractère, vous n’aurez jamais qu’un petit jeu. Le philosophe, qui manque de religion, ne peut avoir trop de mœurs. L’actrice, qui a contre ses mœurs l’opinion qu’on a conçue de son état, ne saurait trop s’observer et se montrer élevée. Vous êtes négligente et dissipatrice ; un moment de négligence peut coûter cher, le temps amène toujours le châtiment du dissipateur. Pardonnez à mon amitié ces réflexions sévères. Vous n’entendrez que trop la voix de la flatterie. Je vous souhaite tout succès. Je vous salue et finis sans fadeur et sans compliment.