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mières années de nos enfants que nous jugeons si sévèrement. Un peu de patience, il en a fallu tant avoir avec nous. Je ne me tiens pas quitte par ce petit nombre de lignes. Le sujet est trop important pour n’y pas revenir. Bonsoir, mon amie, bonsoir. Ne perdez rien de votre amour. Pour peu que vous en diminuassiez, vous ne me payeriez plus de retour.


LIV


À Paris, le 2 novembre 1760.


Les gens du monde n’ont point d’honneur : ils font trop d’affaires et de trop importantes ; ils s’écartent d’abord un peu du droit chemin, puis encore un peu, et de petits écarts en petits écarts réitérés, bientôt ils se trouvent tout à fait égarés, et ce qu’ils ont fait avec succès devient l’unique règle de ce qu’ils ont à faire. Vous voyez bien à quoi je réponds. Mais ce qui me confond, c’est cette espèce de bienfaisance malhonnête avec laquelle ils se prêtent à arranger à leur mode les affaires des gens scrupuleux. On dirait, ou qu’ils n’ont pas assez de leurs propres iniquités, ou qu’ils croient expier celles-ci par celles qu’ils veulent bien commettre en faveur des autres. Il semble qu’ils se disent en eux-mêmes : Vous voyez bien, si ma morale est mauvaise, au moins j’ai la même pour moi et pour mes amis.

Il y avait donc bien de la tendresse, du respect, de l’estime dans cette lettre de rappel ? Les sentiments qu’il nous a vu prendre de sa moitié, à nous qui sommes censés nous connaître en mérite, n’ont pas peu contribué à lui inspirer ceux qu’il en a. Il a cru pouvoir estimer un peu celle que nous adorons. Elle a cru longtemps que la seule chose qu’elle désirait en son mari, c’était de l’estimer ce qu’elle valait ; elle s’est trompée. Il en est venu là, et je gage qu’elle n’en est pas plus éprise.

Vous voilà donc seule à présent, mais heureusement ce ne sera pas pour longtemps ; tout m’annonce un retour prochain. Ces travaux projetés sur la rivière de Larzicourt sont ou différés