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mieux avouer qu’il ne s’y connaît pas que d’accorder le mérite de s’y connaître à aucun amateur.

Bonjour, mes bonnes amies ; agréez mon tendre respect, et me croyez tout à vous, comme j’étais et je serai toute ma vie.


CXXXIX


La Haye, le 3 septembre 1774.
Mesdames et bonnes amies,

Mes caisses ont été embarquées hier pour Rotterdam ; il ne me reste ici de butin que ce qu’on enferme dans un sac de nuit pour un voyage de cinq à six jours.

Le prince et la princesse de Galitzin font tout leur possible pour me retenir jusqu’à la fin du mois ; ils prétendent que je devrais attendre, à côté d’eux, la dernière résolution de la cour de Russie sur un projet dont l’impératrice même a fixé l’accomplissement dans le courant de ce mois ; mais il n’en sera rien ; l’édition de son ouvrage n’est pas encore achevée ; j’ai accordé dans ma tête une huitaine à l’imprimeur ; passé ce terme, finira la besogne qui voudra. Malgré toutes les attentions de mes hôtes, malgré la beauté du séjour de La Haye, je sèche sur pied ; il faut que je vous revoie tous. Qui m’aurait dit, lorsque je partis de Paris, qu’un voyage que j’imaginais de cinq à six mois serait presque trois fois plus long ? Je lui aurais bien répondu qu’il en aurait menti par sa gorge. Enfin, je vais regagner mes foyers pour ne les plus quitter de ma vie : le temps où l’on compte par année est passé, et celui où il faut compter par jour est venu ; moins on a de revenu, plus il importe d’en faire un bon emploi. J’ai peut-être encore une dizaine d’années au fond de mon sac. Dans ces dix années, les fluxions, les rhumatismes, et les restes de cette famille incommode en prendront deux ou trois ; tâchons d’économiser les sept autres pour le repos et les petits bonheurs qu’on peut se promettre au delà de la soixantaine. C’est mon projet dans