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siècle que je n’ai entendu parler de vous ; par hasard, est-ce que vous n’auriez pas reçu ma dernière lettre ? Mademoiselle, si vous saviez toutes les visions cruelles qui m’obsèdent, vous vous garderiez bien de les laisser durer ; dites-moi seulement que vous vous portez bien, et que vous m’aimez : que je voie encore une fois de votre écriture.

Eh bien, mes amies, le sort est jeté : je fais le grand voyage ; mais rassurez-vous.

M. de Nariskin, chambellan de Sa Majesté Impériale, me prend ici à côté de lui dans une bonne voiture, et me conduit à Pétersbourg doucement, commodément, à petites journées, nous arrêtant par tout où le besoin de repos ou la curiosité nous le conseillera. M. de Nariskin est un très-galant homme, qui a pris à Paris pour moi beaucoup d’estime et d’amitié ; il s’est fait, dans une contrée barbare, les vertus délicates d’un pays policé : elles lui appartiennent. Ce n’est pas tout ; au mois de janvier prochain, une autre bonne voiture, où je m’assiérai à côté du frère du prince de Galitzin et de sa femme qui font le voyage de France, me déposera au coin de la rue Taranne. J’aurais peut-être un jour du regret d’avoir négligé un voyage que je dois à la reconnaissance.

Bonjour, madame de Blacy ; je vous salue et vous embrasse de tout mon cœur. Bonjour, madame Bouchard ; je vous salue et vous embrasse aussi. Adieu, bonne amie ; adieu, mademoiselle Volland. Dans quatre jours je serai en chemin pour Pétersbourg. Faites des vœux pour vous et pour moi. La différence des degrés de latitude ne changera rien à mes sentiments ; et vous me serez chère sous le pôle, comme vous me l’étiez sous le méridien de Cassini.

Ne vous inquiétez point ; ne vous affligez pas ; conservez-vous. Nous serons un peu plus éloignés que quand vous partiez de Paris pour Isle ; mais notre séparation sera moins longue ; et nos cœurs ne cesseront pas de se toucher. Accordez à des circonstances importantes ce que vous accordiez à la nécessité d’accompagner une mère chérie dans une terre qui faisait ses délices. Je sais qu’il est dur d’être privé à la fois de tous ceux que nous aimons ; mais, ma bonne, ma tendre amie, nous nous reverrons ! Si vous m’écrivez, adressez, à La Haye, vos lettres au prince de Galitzin, qui me les fera passer à Pétersbourg.