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ma vie une créature plus heureuse ; tout ce qu’il est possible de faire pour vous rendre sa maison agréable, elle l’a fait, et avec une âme et des démonstrations qui ne se rendent pas ; cela était à voir. J’ai passé à Châlons le samedi et le dimanche ; j’en suis parti le lundi matin ; Mme de Meaux et les autres y sont restés deux jours de plus. Le dimanche, c’était la clôture du théâtre, nous allâmes à la comédie. Celui qui fit le compliment me savait au spectacle, et me régala publiquement d’un compliment qui n’était pas trop mal fait. Vous me connaissez ; jugez de mon embarras ; je m’étais baissé, baissé, baissé dans la loge ; peu s’en fallait que je ne fusse perdu, par pudeur, sous les cotillons des dames.

Tandis que tout dormait encore, excepté la maîtresse de la maison, on mit nos chevaux ; nous déjeunâmes et nous prîmes congé ; la bonne Duclos fondait en larmes ; son mari en faisait autant ; je pleurais aussi ; et mon petit gendre était sorti, de peur que la même envie ne le prît. J’ai su que la même scène douloureuse s’était renouvelée en se séparant d’avec Mme de Meaux. Je suis arrivé ici le 26 septembre à la chute du jour ; j’y serais arrivé pour dîner, si notre postillon, au sortir de Château-Thierry, n’avait pas pris la route de Soissons au lieu de prendre celle de Paris. Nous partîmes de Château-Thierry à huit heures et demie du matin, et grâce à cette erreur, forcés de revenir trois lieues sur nos pas, nous nous retrouvâmes, à quatre heures du soir, à Château-Thierry.

Je ne manque pas d’embarras journaliers et d’affaires courantes ; jugez de ce que j’en ai trouvé d’accumulées après deux mois d’absence. Ma femme était en bonne santé, ma fille avait été malade, mais très-malade, elle l’était encore ; elle va mieux. Pour moi, j’ai déjà perdu tout ce que j’avais ramassé d’embonpoint, de force et de gaieté sur les grands chemins. Les trois premiers jours, il me semblait vivre dans une atmosphère infecte. Je me suis donné tant de peine et de mouvement, que la machine s’est dérangée ; j’ai été malade trois jours sans pouvoir sortir ; cela s’est passé, et trois jours après cela m’a repris ; c’est l’estomac qui périclite ; ce sont les intestins qui font mal leurs fonctions. Ma fête est venue, il a fallu, pour l’amusement des autres, se prêter à une petite débauche de table.

J’allai voir, tout en arrivant, M. et Mme Digeon. Je ne trouvai