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Grimm. Je crois vous avoir dit que sa tournée avait été d’environ deux mille cinq cents lieues ; qu’il n’avait pas perdu tout son temps sur les grands chemins, quoiqu’il se fût refusé aux propositions les plus avantageuses ; qu’on lui avait donné à Gotha un titre honorifique avec une pension de douze cents livres ; que le duc d’Orléans lui avait permis d’accepter l’un et l’autre, et qu’enfin il était riche, s’il était modéré dans ses désirs. Je vous ai priée de remercier mon amoureuse de son baume, dont le sédiment délayé avec un peu d’eau-de-vie de lavande m’a guéri d’un bobo au sein, qui commençait à m’inquiéter par son retour opiniâtre.

Le baron m’a témoigné tant d’humeur de ce qu’après lui avoir promis d’aller vivre avec lui à la campagne, je lui avais manqué de parole ; il menait une vie si déplaisante, sa femme, ses enfants, sa belle-mère me désiraient si fort, qu’il a fallu céder. J’ai donc passé dix jours au Grandval ; comme on les y passe : dans la plus grande liberté, et la plus grande chère.

Je me suis presque engagé à y retourner jusqu’à la Saint-Martin, que nous reviendrons tous ensemble à Paris ; à moins que je n’exécute un projet proposé de folie, dans un de ces moments où l’on est si content d’être les uns à côté des autres, qu’on se sent pressé du désir d’y rester, c’est de passer une bonne partie de l’hiver à la campagne. Je me débarrasserais là d’une multitude de besognes importunes qui me pèsent sur les épaules, et peut-être en entamerais-je quelques importantes qui me rendraient honneur et profit, et qui me conduiraient jusqu’à la fin de ma carrière ; elle est bien plus avancée que je ne croyais, à moins que je ne veuille la mesurer par la santé ; je suis vieux, mais il est sûr qu’il n’y paraît pas ; on ne le croirait jamais, à moins que je ne révèle mon secret, ce que je ne fais pas volontiers avec les femmes que j’aime et dont je veux être aimé aussi longtemps que je pourrai leur en imposer. Mademoiselle, n’allez pas commettre cette indiscrétion-là avec mon amoureuse ; elle a, je crois, la meilleure opinion de moi ; je ne veux pas la perdre ; laissez-lui tout le mérite qu’elle peut avoir à me résister. Vous voyez bien qu’il n’est bon ni pour elle ni pour moi de savoir qu’en renonçant à moi elle ne renonce à rien.

Voilà donc maman gaie comme moi ; se portant bien comme