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augure ; la chaise de paille le tuera, s’il ne prend garde. Je lui demandai en grâce de ménager la pacotille que je lui remettais, de manière à vivre quelque temps là-dessus. C’était en effet la meilleure récompense que je pusse obtenir de ce pénible travail ; il me l’a promise ; me tiendra-t-il parole ? j’en doute. Il a vu sa mère qui a quatre-vingt-cinq ou six ans passés, et qui jouit de la plus belle santé et de toute sa raison. Il a vu des frères, des neveux, des nièces dont il est enchanté. Au milieu de toutes ces agréables distractions-là, il a eu la bonté de se ressouvenir de Mlle Diderot, et de lui apporter un fardeau de musique imprimée des auteurs les plus renommés, et aussi belle que de la musique gravée. J’allai hier voir ma femme et ma fille ; je comptais passer la journée en tête-à-tête avec elles, et je suis tombé dans une cohue de vingt-deux personnes. Nous avions fait la partie d’aller aujourd’hui au Grandval, mais nous en avons été détournés par une compagnie qui avait choisi le même jour. Nous y allons demain mardi ; nous passerons ensemble deux heures et demie en allant, et deux heures et demie très-douces en revenant ; voilà ce que nous nous sommes dit, et ce qui est vrai ; mais ce qui ne l’est pas moins, et ce que nous ne nous sommes pas dit, c’est que le baron s’emparera de moi. Et vous, mesdames, quand me restituerez-vous les autres absents qui me sont chers ? Voilà de beaux jours que je maudis de bon cœur ; je mène la vie la plus retirée ; j’y suis si bien fait, qu’il m’est arrivé une fois de m’habiller et de me déshabiller tout de suite.

Je vous salue, et vous embrasse de tout mon cœur. Si Mlle Volland voulait être sincère, elle m’avouerait qu’elle avait oublié le jour de ma fête.


CXXIX


Paris, le 2 novembre 1769.


Je vous ai écrit deux fois, bonne amie, avant que de faire mon petit voyage du Grandval. Je vous ai parlé du retour de