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coûte rien, parce que je ne m’engage jamais à tenir mes promesses. Je ne puis rien vous dire ni de M. ni de Mme Bouchard, que je n’ai point vus. Un anachorète ne vit pas plus retiré que moi. Je me garderai bien de vous envoyer mes Dialogues ; j’y perdrais le plaisir que j’aurais à vous les lire. D’ailleurs, sans me méfier de votre pénétration, je crois qu’il faut un petit commentaire. Cet ami qui était en quatrième avec les deux moines et moi, c’est un nommé Touche, dont vous aurez pu entendre parler à Mme Le Gendre qui le connaissait et l’estimait. Vos jours et vos yeux ! Oh ! je vous conseille de vous avancer davantage si vous ne voulez pas que Mme Casanove aille à l’enchère sur vous. Voici une nouvelle toute fraîche qui vous fera plaisir : le prince de Galitzin vient d’obtenir l’ambassade de La Haye, la meilleure de toutes et la moins pénible. Le voilà riche et paresseux à jamais ; le voilà au centre de la peinture ; le voilà proche de ses amis ; je suis sûr que la tête lui en tourne. Il part de Pétersbourg avec sa femme, qui fera ses couches à Berlin d’où ils se rendront en Hollande.

Je veux mourir, si je vois dans ce fragment épistolaire autre chose que ce que vous y voyez ; un homme qui, à l’occasion d’une bagatelle qui a pu vous être agréable, pousse sa pointe, et court après l’avantage d’avoir à se justifier auprès de vous des tendres sentiments qu’il a pris sans votre aveu, et qu’il ne désespérait pas de vous faire agréer. Cela n’est pas maladroit. Qu’il y réussît ou non, il se serait expliqué ; mais il ne vous connaît guère : vous ne répondrez point à cela.

Bonsoir, mesdames et bonnes amies. Je suis harassé de fatigue, et il est temps que Grimm rentre dans sa boutique.


CXXVII


Paris, le 1er octobre 1769.


Grimm n’est pas encore arrivé ; ainsi, bonne amie, je porte encore le tablier de sa boutique ; mais je commence à m’en lasser, et je ne sais plus ce qui me fait désirer son retour, si c’est