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LII


À Paris, le 10 novembre 1760.


Voyez l’attention de M. Damilaville. C’est aujourd’hui dimanche. Il a été forcé de sortir de son bureau. Il ne doutait pas que je ne vinsse ce soir ; car je ne manque jamais quand j’espère une lettre de vous. Il a laissé la clef avec deux bougies sur une table, et entre les deux bougies, la petite lettre de vous avec un billet de lui bien honnête. Je vous ai lue et relue ; je suis seul et je vais vous répondre.

Je suis bien fâché que madame votre mère soit indisposée. Il n’y a qu’un jour à son compte, quoiqu’il y ait bien du temps au nôtre, qu’elle est à la campagne. Ce sont d’abord les mauvais temps qui l’ont empêchée d’en jouir ; et, quand les mauvais temps vont cesser, car enfin ils vont cesser, s’ils ne doivent pas durer toujours, voilà un rhumatisme qui la tient courbée sur les tisons. Comment se fait-il qu’elle ait de la gaieté, et avec vous ? Hier, je disais, avec Damilaville, que quand j’étais las de voir aller les choses contre mon gré, il me prenait des bouffées de résignation. Alors la douleur des hypocondres se détend, la bile accumulée coule doucement : le sort ne me laisserait pas une chemise au dos, que peut-être j’en plaisanterais. Je conçois qu’il y a des hommes assez heureusement nés pour être, par tempérament et constamment, ce que je suis seulement par intervalle, de réflexion, et par secousses ; témoin l’auteur de Zaïde, ce petit abbé de La Marre qui n’avait pas un sou, qui se portait mal, qui n’avait ni habit, ni pain, ni souliers ;


Sa culotte, attachée avec une ficelle.
Laissait voir, par cent trous, un cul plus noir qu’icelle.


Eh bien ! le soir, sur les onze heures, lorsque tout le monde dormait, il contrefaisait, avec une pipe à fumer, les cris d’un