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Vous souvenez-vous d’un trait que je vous ai raconté d’un de mes amis[1] ? Il aimait depuis longtemps ; il croyait avoir mérité quelque récompense, et la sollicitait, comme elle doit l’être, vivement. On le refusait sans en apporter de raisons….. il s’avisa de dire : « C’est que vous ne m’aimez pas » Cette femme aimait éperdument. « C’est que je ne vous aime pas ! répondit-elle en fondant en larmes. Levez-vous (il était à ses genoux), donnez-moi la main » ; il se lève, il lui donne la main, elle le conduit vers un canapé, elle s’assied, se couvre les yeux de ses mains sous lesquelles les larmes coulaient toujours, et lui dit : « Eh bien ! monsieur, soyez heureux. » Vous vous doutez bien qu’il ne le fut pas. Non ce jour-là ; mais un autre qu’il était à côté d’elle, qu’il la regardait avec des yeux remplis d’amour et de tendresse, et qu’il ne lui demandait rien, elle jeta ses deux bras autour de son cou, sa bouche alla doucement se coller sur la sienne, et il fut heureux.

Il y a une lettre de vous chez Damilaville. Je cours bien vite la chercher. Adieu, adieu.

De Saint-Gény se porte à merveille. C’est un garçon de bien, très-aimé, très-considéré. On rend justice à ses talents ; mais il n’a ni zèle ni activité. On lui reproche de l’indolence et de la paresse. Il faudrait que madame votre mère et la sienne le secouassent de temps en temps. Je vous réponds toujours de la protection de M. Damilaville pour lui, parce que M. Damilaville a de l’amitié pour moi, et qu’il sait l’intérêt que je prends à M. de Saint-Gény, et à tout ce qui vous tient par le fil le plus léger.

Mes très-humbles respects à madame votre mère.

  1. C’est l’aventure de Margency et de Mme de Verdelin, racontée par Mme d’Épinay. Mémoires, 2e partie, chap. VI.