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jeune conseiller au Parlement, qui avaient dîné chez Gaudet, montèrent, le soir, chez Damilaville, où j’étais. Je connaissais Desmarets et Tillet ; on se salue, on s’embrasse, et je dis à Desmarets : « Que faites-vous ici ? je vous croyais à grelotter au Kamtchatka, dans un trou de quelque Jakut. » Vous entendez sa réponse : « Je suis fâché, pour le progrès des sciences, qu’un autre fasse le voyage. » Il ajouta qu’il avait préparé un grand nombre d’expériences qu’assurément l’abbé Chappe ne fera pas. « Avez-vous un mémoire bien détaillé de toutes ces expériences ? — Tout prêt. — Savez-vous ce qu’il faut en faire ? Le porter à l’abbé Chappe. Parce que vous ne pouvez pas faire le bien par vous-même, ne devez-vous pas contribuer de toutes vos forces pour qu’il soit fait par un autre ? » Tout le monde fut de mon avis.

Je ne pourrais soutenir cette pensée qu’un homme a eu cet avantage sur moi..... Cet homme est un homme de bien, du moins je dois le supposer. Il vous est dévoué, âme et corps, il ne vit que pour vous, il étudie toutes vos volontés. C’est vous qui faites son bonheur, sa peine, son repos, ses alarmes ; son sort est attaché au vôtre. Il ferait le tour du monde pour vous aller chercher un fétu qui vous plairait ; et, lorsque vous lui accordez la seule récompense qu’il se promette, et qu’il s’efforce de mériter, vous appelez cela accorder de l’avantage sur soi. Est-ce là l’expression ? Je m’en rapporte à vous-même, qui avez l’esprit juste. En toute autre circonstance, il me semble qu’on dirait : c’est retour, c’est équité. Les coquettes laissent prendre de l’avantage sur elles ; les femmes galantes et à tempérament aussi ; les folles, les étourdies, et, en un mot, toutes celles qui ne mettent aucun prix honnête à leurs faveurs, et qu’on possède sans les avoir méritées. Mais il n’en est pas ainsi des autres.