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d’avance ; mais je n’ai pas la liberté d’esprit nécessaire pour un récit de cette nature. Ayez donc la bonté de me rendre le sens commun : j’en ai encore besoin quelquefois. Mademoiselle, si vous n’êtes pas dangereusement malade, ou Mme de Blacy ou maman, vous êtes bien cruelle. Vingt-un jours de suite sans dire un mot, sans donner le moindre signe de vie ; je n’y conçois rien, mais rien du tout, et j’aime mieux n’y rien concevoir que de me livrer à mes conjectures. Intercepte-t-on mes lettres ? Vos réponses se perdent-elles ? Je vous ai écrit avec la plus grande exactitude. Je ne vis Damilaville avant-hier qu’un moment, fort tard. C’était un jour de bataille. Je ne le vis point hier. La mauvaise santé de la mère et de sa fille avait fait renvoyer mon bouquet au 13. mon Dieu, que je suis étourdi ! Tenez, sans cette circonstance, je ne me serais pas aperçu que ce n’est qu’aujourd’hui le 13.

Vous êtes moins coupable d’une semaine ; c’est quelque chose ; cela me rassure un peu. J’irai cette après-midi chez Damilaville, et j’espère en revenir plus content de vous. Il faut que le temps m’ait cruellement duré. N’allez pas prendre cet ennui pour la mesure de mon attachement. Ce serait pis que le premier jour ; je veux bien que cela soit, mais je ne veux pas que vous le sachiez. Ah ! si je puis une fois cesser de vous aimer toutes, je n’aimerai plus personne : cela fait trop de mal. Mais je crains bien d’en avoir pour toute ma vie.

Bonjour, maman. Je vous prie en grâce de gronder un peu mademoiselle. Je me suis amendé, moi ; mais voyez comme cela me réussit. Je vous présente mon respect. J’embrasse de tout mon cœur Mme de Blacy, si elle le permet ; mais pour ce méchant enfant qui s’obstine à se taire, rien, rien, rien du tout. Oh ! je suis bien piqué ! Ce qui me fait enrager, c’est que cela ne durera pas, et que ce soir je serai peut-être plus doux qu’un agneau.