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CXIII


Paris, le ler octobre 1788.


Mademoiselle, vous n’écrivez point ; vous ne répondez point aux lettres qu’on vous écrit ; vous vous laissez fourvoyer par l’abbé Marin, que je commence à haïr, et que j’abhorrerai incessamment. Je vous boude, et, tout en vous boudant, j’allais oublier que c’est demain la fête de maman. Je vous prie de lui offrir mes souhaits, mon tendre et sincère attachement, et tout mon respect. Dites-lui bien que tant que je vivrai il lui restera un joli enfant ; et puis vous irez prendre Mme de Blacy par la main, et vous leur offrirez à chacune un baiser de ma part. Voilà, par exemple, une commission qui ne vous déplaira pas.

Il faut que vous sachiez que M. d’Invaux a commencé à faire des siennes. À juger de son projet par sa première opération, il est excellent ; c’est de couper, autant qu’il pourra, de ces mains inutiles et rapaces par lesquelles passent les revenus du roi, avant que d’arriver à la dernière.

M. de Boulogne, intendant des finances, chassé.

M. Amelin, en fuite.

M. Cromot, plus rien.

Je vous jure que les receveurs généraux des finances ne dorment pas si paisiblement que moi.

Les premiers fermiers généraux s’entendaient mieux que leurs successeurs. Ils n’avaient garde de faire parade de leurs énormes fortunes. Ils avaient une apparence modeste. Ils mouraient, et leurs enfants trouvaient des tonnes d’or. Boësnier est un des premiers qui aient étalé tout le faste de l’opulence. Je trouve à cela plus de maladresse encore que d’imprudence. Quelle opinion peut-on avoir d’un Collet d’Hauteville, qu’une ou deux campagnes enrichissent de sept à huit millions ; d’un Amelin, qui est pauvre comme Job, et qui fait montre de quatre-vingt mille livres de rente acquises en cinq à six années ; d’un Cromot, qu’on voit passer rapidement de la boutique d’un notaire, aux titres, aux terres, et au faste d’un grand seigneur ?