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son âme pourrirait dans la terre avec son corps. « Mais pourquoi priez-vous donc Dieu ? — Ma foi, je n’en sais rien. — Vous ne croyez donc pas à la messe ? — Un jour j’y crois, un jour je n’y crois pas. — Mais le jour que vous y croyez ? — Ce jour-là, j’ai de l’humeur. — Et allez-vous à confesse ? — Quoi faire ? — Dire vos péchés. — Je n’en fais point ; et quand j’en ferais et que je les aurais dits à un prêtre, est-ce qu’ils en seraient moins faits ? — Vous ne craignez donc point l’enfer ? — Pas plus que je n’espère le paradis. — Mais où avez-vous pris tout cela ? — Dans les belles conversations de mon gendre : il faudrait, par ma foi, avoir une bonne provision de religion pour en avoir gardé une miette avec lui. Tenez, mon gendre, c’est vous qui avez barbouillé tout mon catéchisme ; vous en répondrez devant Dieu. — Vous croyez donc en Dieu ? — En Dieu ! il y a si longtemps que je n’y ai pensé, que je ne saurais vous dire ni oui ni non. Tout ce que je sais, c’est que si je suis damnée, je ne le serai pas toute seule ; et quand j’irais à confesse, que j’entendrais la messe, il n’en serait ni plus ni moins. Ce n’est pas la peine de se tant tourmenter pour rien. Si cela m’était venu quand j’étais jeune, j’aurais peut-être fait beaucoup de petites choses douces que je n’ai pas faites. Mais aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi je ne crois rien. Cela ne me vaut pas un fétu. Si je ne lis pas la Bible, il faudra que je lise des romans ; sans cela, je m’ennuierais comme un chien. — Mais la Bible est un fort bon roman. — Ma foi, vous avez raison ; je ne l’ai jamais lue dans cet esprit-là ; demain je commence ; cela me fera peut-être rire. — Lisez d’abord Ézéchiel. — Ah ! oui ; à cause de cette Olla et de cette Oliba, et de ces Assyriens qui… — Et dont il n’y a plus aujourd’hui. — Et qu’est-ce que cela me fait qu’il y en ait ou non ? Il ne m’en viendra pas un ; et quand il m’en viendrait une douzaine ?… — Vous croyez que vous les enverriez à votre voisine ? — C’est selon le moment. — Vous avez donc encore des moments ? — Pourquoi pas ? — Ma foi, je crois que les femmes en ont jusqu’au tombeau ; que c’est là leur dernier signe de vie ; quand cela est mort en elles, le reste est bien mort. Vous riez tous, mais croyez que celles qui disent autrement sont des menteuses ; je vous révèle là notre secret. — Oh ! nous n’en abuserons pas. — Je le crois bien. Encore, ne sais-je : si vous n’aviez pour tout partage qu’une femme de mon âge, je veux mourir si