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Il est étonnant que cela n’ait pas pris davantage sur vos jeunes âmes, et qu’on n’ait pas fait de vous deux bohémiennes.

Vous n’avez point vu le nain de la dame D..... parmi les autres ? C’est qu’elle n’y était pas ; est-ce que vous avez oublié qu’elle est à couteau tiré avec la vieille fée, sa voisine ; elle n’était pas à la Chevrette. L’indisposition de sa mère la retenait à Paris, tandis que l’ami était au Grandval ; Pouf n’est pour rien là dedans. On m’a bien recommandé de me taire sur Pouf, j’ai promis et tenu parole.

Ne vous attendrissez pas trop sur la dame aux bras velus ; il lui est arrivé ce qui arrivera à celles qui, sans dignité dans le caractère, sans respect pour elles-mêmes, ne tiendront pas loin ces animaux insolents qu’on appelle jeunes gens. Auparavant mon fils[1] la prenait à bras-le-corps, la tirait sur ses genoux, lui maniait les bras, mesurait sa taille fine entre ses mains, et elle disait en minaudant : Allons donc, finissez donc ! que vous êtes enfant ! Et mon fils a fini par lui éplucher les bras à table, en présence de vingt personnes.

Vous ne m’avez rien dit des propos de M. Le Roy ; ils étaient pourtant bien gais et bien originaux.

Eh bien ! vous êtes donc sûre que M. de Prisye ne s’y trompe pas ? Mais, puisque vous avez pensé que cette phrase pourrait me paraître singulière, pourquoi n’avez-vous pas pensé qu’elle pourrait lui paraître aussi singulière qu’à moi ? Pourquoi l’avoir laissée ? Si vous me trompiez, s’il trompait Mlle Boileau, si vous étiez deux scélérats, ma foi, comme M. Orgon, je ne croirais plus aux gens de bien. Il faut que je consulte Mlle Boileau là-dessus. Nous verrons ce qu’elle en dira ; sauf à vous faire, à vous et à lui, un petit secret de sa décision. Si nous nous en mêlons une fois, soyez sûre que nous saurons bien aussi vous faire des phrases singulières, et que nous serons bien assez traîtres pour vous en demander votre avis.

Je vous prie, mon amie, plus de comparaison entre Grimm et moi. Je me console de sa supériorité en la reconnaissant. Je suis vain de la victoire que je remporte sur mon amour-propre, et il ne faut pas m’ôter ce pauvre petit avantage-là.

Pourquoi la louange embarrasse-t-elle ? C’est qu’il est contre

  1. Voir t. XVIII, page 516.