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que je ne regretterai pas le lendemain de m’en être si bien ou si mal tiré ; car le remords d’une bonne action en affaiblit beaucoup le mérite. Et vous croyez que je dormirais profondément entre deux jeunes Sunamites ? et vous croyez que si cela m’était arrivé, je n’en serais pas un peu fâché ? J’ai bien de la peine à avoir si bonne opinion de moi. Je vaux peut-être beaucoup plus que je ne crois. C’est peut-être affaire de modestie de ma part. Tout cela se découvrira quelque jour ; mais il ne faut pas que ce jour-là soit bien loin. En attendant, je vous aime de tout mon cœur. Je n’aime que vous, et je serais au désespoir d’imaginer que je pusse en aimer une autre. Ceci n’est point une plaisanterie. En vérité, bonne amie, vous êtes jalouse, et je n’aurais qu’à continuer sur ce ton pour vous tourmenter. Est-il possible qu’après douze ans d’attachement vous ne me connaissiez pas encore ? J’embrasserai rue Sainte-Anne, tout à côté de la bouche ; c’est mon usage ; et rue Saint-Thomas-du-Louvre où l’on me présentera.

Si j’ai pris du goût pour le restaurateur ! vraiment oui : un goût infini. On y sert bien, un peu chèrement, mais à l’heure que l’on veut. La belle hôtesse ne vient jamais causer avec ses pratiques ; elle est trop honnête et trop décente pour cela ; mais ses pratiques vont causer avec elle tant qu’il leur plaît ; et elle répond fort bien. On mange seul. Chacun a son petit cabinet où son attention se promène : elle vient voir par elle-même s’il ne vous manque rien ; cela est à merveille, et il me semble que tout le monde s’en loue.

Van Loo ne va pas mieux. Mme Van Loo et Mme Berger sont certainement très-sensibles à votre souvenir. N’auriez-vous rien à faire dire à Mlle Vernet ? j’aime beaucoup les commissions pour elle. J’indiquerai votre Esculape, qui ne sera pas fort habile s’il ne s’y entend pas mieux que Lamotte.

Oh ! pour le prince Galitzin, point de miséricorde : chacun a sa bête, et les jaloux sont la mienne. Je suis bien fâché que la belle dame ne vous ait point écrit : vous en auriez reçu une jolie lettre. Mais je vois ce que c’est ; vous lui avez fait peur.

Si Je retournerai à Sainte-Périne ! je le crois bien. Vous en voulez trop savoir, et vous ne répondez point aux questions qu’on vous fait. Il faut aller à sa fille ou rester à son amant. Voilà le point. Lequel des deux feriez-vous ?