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tenant ferme dans son poste incommode, malgré la pluie qui tombait à seaux, le vent qui agitait ses oreilles, oubliant le boire, le manger, la maison, son maître, sa maîtresse, et gémissant, soupirant pour Thisbé, depuis le matin jusqu’au soir. Je soupçonne, il est vrai, qu’il y a un peu de luxure dans le fait de Taupin ; mais Mme d’Aine prétend qu’il est impossible d’analyser les sentiments les plus délicats, sans y découvrir un peu de saloperie. Ah ! chère amie, les noms étranges qu’on donne à la tendresse ! Je n’oserais vous les redire. Si la nature les entendait, elle leur donnerait à tous des croquignoles.

Mme d’Holbach prétend que Saurin et la dame de la Chevrette nous jouent, qu’ils nous mentent, en nous disant la vérité.

Me voilà donc installé rue Taranne pour jusqu’à l’automne prochain. Jeanneton est hors d’affaire. Sa maîtresse continuera encore quelques jours le vin de quinquina. Angélique a le cou libre, de l’appétit, de la gaieté, mais, sur le soir, un peu de fièvre. Elles se purgeront toutes, les unes après les autres, à commencer de demain ; c’est l’enfant qui débutera.

Je crois bien que Racine vous fait grand plaisir : c’est peut-être le plus grand poëte qui ait jamais existé, chère amie. Gardez-vous bien d’attaquer le caractère d’Iphigénie. Sa résignation est un enthousiasme de quelques heures. Le caractère est poétique, et partout un peu plus grand que nature : si le poëte l’eût introduite dans un poëme épique, où cet épisode eût été de plusieurs jours, vous l’auriez vue agitée de tous les mouvements que vous exigez ; elle en éprouve bien quelques-uns, mais toujours tempérés par la douceur, le respect, la soumission, l’obéissance ; toutes vos objections se réduisent à ceci : Iphigénie et moi sont deux. Le caractère d’Iphigénie était facile à peindre, celui d’Achille et celui d’Ulysse faciles, celui de Clytemnestre plus facile encore ; mais celui d’Agamemnon, dont vous ne me dites rien, comment n’y avez-vous pas pensé ? Un père immole sa fille par ambition, et il ne faut pas qu’il soit odieux. Quel problème à résoudre ! Voyez tout ce que le poëte a fait pour cela. Agamemnon a appelé sa fille en Aulide ; voilà la seule faute qu’il ait commise, et c’est avant que la pièce commence. Il est agité de remords, il se lève pendant la nuit ; il veut l’empêcher d’arriver en Aulide ; il n’y réussit pas, il se désespère de son arrivée, ce sont les dieux qui le trompent. Par qui fait-on plaider auprès