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l’univers, qui a délivré de la tyrannie des princes du sang la nation qui leur avait toujours été asservie ; jusqu’à ses enfants qu’il réduisit à la condition de simples sujets..... Eh bien ! ce prince fit brûler tous les livres, et défendit, sous peine de mort, d’en conserver d’autres que d’agriculture, d’architecture et de médecine. Si Rousseau avait connu ce trait historique, le beau parti qu’il en eût tiré ! Comme il eût fait valoir les raisons de l’empereur chinois !

L’Y-Wang-Ti disait que, dans un État où il y avait des gens qu’on appelle gens à talents, les gens de bien n’étaient que les seconds..... ; que partout où il y avait plus de gloire à penser qu’à faire, le nombre de ceux qu’on appelle penseurs devait toujours aller en augmentant, et avec eux le nombre des oisifs, des orgueilleux, des inutiles et des fainéants..... ; que ces jaseurs consacrant par des éloges absurdes les anciennes constitutions, ils liaient les mains du prince qui ne pouvait rien innover sans révolter la nation, quoiqu’il n’y eût pas une loi qui, au bout de cinquante ans, ne devînt un abus..... ; que les productions de l’esprit sont froides et maussades lorsque le génie n’est pas l’organe des passions, et qu’alors elles sont dangereuses. Le beau texte que voilà ! Vous devriez m’aimer à la folie.

Que dirent de cette logique de l’Y-Wang-Ti les gens du conseil du coffre de fer, qui étaient tous lettrés ?..... Qu’il raisonnait comme un barbare.

Je vous fais grâce de toutes les réflexions qui furent amenées par ces traits historiques, vous les referez toutes et beaucoup d’autres.

Le Baron, qui est malade, en dépit de la médecine qui s’est emparée de lui, trouva fort mauvais que l’Y-Wang-Ti eût épargné les livres de médecine. Il disait qu’on ne connaissait pas le corps humain, qu’on ne connaissait pas les fonctions des parties, qu’on ne connaissait point la nature des substances qu’on donne en remèdes, qu’on ne connaissait rien, et qu’il ne comprenait pas comment on pouvait faire une science de tant de choses ignorées et inconnues.

Je lui répondis à la façon de l’abbé Galiani… Des Espagnols abordèrent un jour dans une contrée du Nouveau-Monde où les habitants grossiers ignoraient encore l’usage du feu. C’était en hiver. Ils dirent aux habitants qu’avec du bois et une autre