Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le prince est sous la loi, et au-dessus de ses sujets. C’est le premier sujet de la loi. »

Le père Hoop a raconté que les mandarins disaient un jour à un empereur : « Seigneur, le peuple est dans la misère, il faut aller à son secours. — Allez, dit l’empereur ; il faut y courir comme à une inondation ou à un incendie. — Il faudra proportionner les secours aux besoins. — J’y consens, pourvu que l’examen ne prenne pas trop de temps, et ne soit pas trop scrupuleux. Surtout qu’on ne craigne pas que la libéralité excède mes intentions. »

Il dit qu’un autre empereur assiégeait Nankin. Cette ville contient plusieurs millions d’habitants. Les habitants s’étaient défendus avec une valeur inouïe ; cependant ils étaient sur le point d’être emportés d’assaut. L’empereur s’aperçut, à la chaleur et à l’indignation des officiers et des soldats, qu’il ne serait point en son pouvoir d’empêcher un massacre épouvantable. Le souci le saisit. Les officiers le pressent de les conduire à la tranchée ; il ne sait quel parti prendre ; il feint de tomber malade ; il se renferme dans sa tente. Il était aimé ; la tristesse se répand dans le camp. Les opérations du siège sont suspendues. On fait de tous côtés des vœux pour la santé de l’empereur. On le consulte lui-même. » Mes amis, dit-il à ses généraux, ma santé est entre vos mains ; voyez si vous voulez que je vive. — Si nous le voulons ! Seigneur, parlez, dites vite ce qu’il faut que nous fassions. Nous voilà tous prêts à mourir. — Il ne s’agit pas de mourir, mais de me jurer une chose beaucoup plus facile. — Nous le jurons. — Eh bien ! ajouta-t-il en se levant brusquement, et tirant son cimeterre, me voilà guéri. Marchons contre les rebelles, escaladons les murs, entrons dans leur ville ; mais que, la ville prise, il ne soit pas versé une goutte de sang. Voilà ce que vous m’avez juré et ce que j’exige », et ce qui fut fait.

L’Y-Wang-Ti (c’est toujours le père Hoop qui parle) a fait bâtir la grande muraille qui sépare la Chine de la Tartarie, qui a six cents lieues de circuit, trois mille tours, trente pieds de haut, quinze d’épais ; qui laisse entrer et sortir des fleuves sous des rochers, qui traverse un bras de mer, qui passe par des marais de plusieurs lieues. L’Y-Wang-Ti l’a fait construire en cinq ans. C’est le même qui a donné les lois les plus sages de