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cent fois de volonté dans la journée : qu’il se lève, qu’il se met subitement à table ; qu’il écrit, qu’il déchire ce qu’il écrit ; qu’il lit, qu’il jette les livres dans un coin ; qu’il envoie chercher son perruquier pour se coiffer, qu’il le renvoie, ou qu’après s’être fait accommoder, avoir pris du linge, mis son habit, il se déshabille sur-le-champ, remet sa robe de chambre, se promène d’un appartement dans un autre et se couche ; que d’autres fois il va jusqu’à la porte de la rue, et puis qu’il remonte ; que, quand elle lui remontre qu’il manque à ses devoirs, qu’il oublie les fonctions de son état, que cette négligence peut avoir les suites les plus fâcheuses, il se met à pleurer ; il dit : « Je le sais bien, je le voudrais bien, je ne saurais » ; il l’embrasse avec une tendresse qui lui déchire l’âme ; mais il a surtout une manière de la regarder à laquelle il lui est impossible de résister. Quand il la regarde ainsi, elle n’y sait autre chose que de s’en aller pleurer toute seule ; elle ajoute : « Si je lui avais jamais remarqué du goût pour les femmes, je le croirais pris de quelque passion malheureuse ; mais il a toujours été si réservé de ce côté-là ; en vérité, je ne crois pas qu’il ait encore connu une femme. Je ne sais ce que c’est. »

Nous connaissons l’un et l’autre une honnête femme de par le monde, pour qui le spectacle de ce jeune homme-là serait une terrible leçon. Adieu, mon amie ; n’est-il pas vrai qu’il ne faut laisser concevoir aux hommes aucune espérance vaine ? L’amour ! c’est une bête cruelle et sauvage.


XCIX


Le 20 décembre 1765.


Les occupations se succèdent sans interruption, et je commence à me désabuser de la chimère du repos. Il y avait avant-hier, sur mon bureau, une comédie, une tragédie, une traduction, un ouvrage politique et un mémoire, sans compter un opéra-comique. L’opéra-comique est de Marmontel ; c’est son conte de la Bergère des Alpes qu’il a mis en scène. On