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XCVIII


Paris, le 1er décembre 1765.


Je ne sais que devenir. J’ai toutes sortes d’occupations autour de moi ; aucune ne me convient. Je voudrais sortir, et je sens qu’en quelque endroit que j’aille, j’y porterais et trouverais l’ennui. Le domestique de Grimm ne m’a point apparu ; demain dimanche, s’il faut que je revienne à vide de la rue Neuve-Luxembourg, il est sûr que je serai l’homme du monde le plus inquiet et le plus malheureux. Vous croyez que si c’était à recommencer, je vous aimerais, ni vous ni aucune autre ; que je ferais assez peu de cas du repos, de la liberté, du sens commun, pour le confier derechef à personne ! Cassez-moi aux gages, seulement une fois, pour voir. En vérité, il est bien triste de s’être attaché à une créature à laquelle on ne saurait se promettre d’avoir jamais le moindre reproche à faire, ni infidélité, ni dégoût, ni travers sur lesquels on puisse compter ; n’avoir ni le courage de lui manquer, ni la moindre espérance qu’elle nous manquera ; se trouver dans la nécessité ou de se haïr soi-même ou de l’adorer tant qu’on vivra ; cela est à désespérer. C’est une aventure unique à laquelle j’étais réservé.

Vous savez sans doute que M. Breuzart est encore veuf ? n’est-ce pas sa troisième femme ? Cela lui a fait une réputation extraordinaire. On prétend qu’il a fait mourir celle-ci à force de plaisirs.

Il nous est revenu un de nos convives de la rue Royale ; et nous en attendons incessamment un autre. Le premier est M. Wilkes, et le second est l’abbé Galiani.

Vous aimerez toutes M. Wilkes à la folie, lorsque vous saurez son histoire. Il arrive à Naples ; il met ses grisons en campagne, pour lui trouver une courtisane italienne ou grecque : il donne l’état des qualités, perfections, talents, commodités qu’il désire dans sa maîtresse. Cependant on lui meuble, sur les bords de la mer, la demeure la plus voluptueuse et la plus belle. Lorsque la demeure est prête à recevoir son hôte, il s’y rend ; et un des