Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de vous. Je ne vous fais aucune question ; c’est peut-être que je crains votre sincérité, sans m’en aperçoir. Je vous explique seulement la situation de mon âme, afin que vous en usiez, après cela, tout comme il vous plaira. Quoi que vous fassiez, je n’aurai point à me plaindre de vous, de même que j’espère que, quoi qu’il m’arrive dans la suite, vous n’aurez point à vous plaindre de moi ; et cependant il pourra très-bien se faire que vous fassiez ma désolation et que je fasse la vôtre. Je vous demande pour toute chose, mon ami, d’y regarder, et d’y regarder de près. Vous êtes jeune, mais vous êtes plus sage qu’on ne l’est communément avec le double de votre âge et de votre expérience. Vous avez ignoré que j’eusse jamais eu du goût pour madame une telle ; vous ne savez pas même à présent si j’en ai : et comment le sauriez-vous, puisque je l’ignore moi-même ? Ainsi je n’ai point de reproche à vous faire sur le passé ni sur le présent ; et je déclare que je n’en puis avoir à vous faire sur l’avenir. Mais comme nous sommes tous deux mauvais juges dans cette affaire, je consens que vous exposiez votre situation et la mienne à quelque homme de sens qui peut-être y verra plus clair que nous, et à qui nous pourrons avoir, elle, vous et moi, l’obligation de notre bonheur. »

Eh bien ! chère et tendre amie, que diable voulez-vous que l’on conseille à des gens dans une aussi étrange position ? Au demeurant, je vous prie de croire qu’il n’y a pas un mot ni à ajouter ni à retrancher à tout cela : c’est la vérité pure, à l’exception de quelques discours que j’ai peut-être faits mieux ou moins bien qu’ils n’ont été tenus. Là-dessus mettez toutes vos têtes en un bonnet, et tâchez de me trouver un conseil sans inconvénient. Ce qui m’en plaît, c’est que voilà certainement trois honnêtes créatures, et bien raisonnables. Je ferais tout aussi bien de continuer à vous écrire ; car il est deux heures du matin, et cette singulière aventure ne me laissera pas dormir.

Vous dormez, vous ! Vous ne pensez pas qu’il y a à soixante lieues de vous un homme qui vous aime, et qui s’entretient avec vous tandis que tout dort autour de lui. Demain je serai une de vos premières pensées. Adieu, mon amie ; je vous aime comme vous voulez, comme vous méritez d’être aimée, et c’est pour toujours. Mon respect à toutes vos dames ; un petit mot