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Puisque j’en suis sur ce chapitre, encore un fait que je tiens de M. Hume, et qui vous apprendra ce qu’il faut penser de ces prétendues conversions cannibales ou huronnes. Un ministre croyait avoir fait un petit chef-d’œuvre en ce genre : il eut la vanité de montrer son prosélyte ; il l’amena donc à Londres. On interroge le petit Huron ; il répond à merveille. On le conduit à la chapelle ; on l’admet à la cène, ou communion qui, comme vous savez, se fait sous les deux espèces ; après la cène, le ministre lui dit : « Eh bien ! mon fils, ne vous sentez-vous pas plus animé de l’amour de Dieu ? La grâce du sacrement n’opère-t-elle pas en vous ? Votre âme n’est-elle pas échauffée ? — Oui, répondit le petit Huron, le vin fait fort bien ; mais si l’on m’avait donné de l’eau-de-vie, je crois qu’elle aurait encore mieux fait. » La religion chrétienne est presque éteinte dans toute l’Angleterre. Les déistes y sont sans nombre ; il n’y a presque point d’athées ; ceux qui le sont s’en cachent. Un athée et un scélérat sont presque des noms synonymes pour eux. La première fois que M. Hume se trouva à la table de M de ....., il était assis à côté de lui. Je ne sais à quel propos le philosophe anglais s’avisa de dire à M. de ..... qu’il ne croyait pas aux athées, qu’il n’en avait jamais vu. M. de ..... lui dit : « Comptez combien nous sommes ici. » — Nous étions dix-huit. M. de ..... ajouta : « Il n’est pas malheureux de pouvoir vous en compter quinze du premier coup : les trois autres ne savent qu’en penser[1]. »

Un peuple qui croit que c’est la croyance d’un Dieu et non pas les bonnes lois qui font les honnêtes gens ne me paraît guère avancé. Je traite l’existence de Dieu, relativement à un peuple, comme le mariage. L’un est un état, l’autre une notion excellente pour trois ou quatre têtes bien faites, mais funeste pour la généralité. Le vœu du mariage indissoluble fait et doit faire presque autant de malheureux que d’époux. La croyance d’un Dieu fait et doit faire presque autant de fanatiques que de croyants. Partout où l’on admet un Dieu, il y a un culte ;

  1. Dans ses Mémoires, Samuel Romilly cite cette anecdote qu’il avait recueillie de la bouche même de Diderot. Il place la scène chez d’Holbach : « Il (Hume) était assis à côté du baron ; on parla de la religion naturelle : « Pour les athées, dit Hume, je ne crois pas qu’il en existe, je n’en ai jamais vu. — Vous avez été un peu malheureux, répondit l’autre, vous voici à table avec dix-sept à la fois. »