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rieux, savez-vous comme ils se contiennent ? Ils tirent tous leurs poignards et les plantent sur la table, à côté de leurs verres. Voilà la réponse au premier mot injurieux. »

Le prétendant, dont les Anglais ont mis la tête à prix, qu’ils ont chassé, pendant plusieurs mois, de montagne en montagne, comme on force une bête féroce, a trouvé la sûreté dans les cavernes de ces malheureux montagnards, qui auraient pu passer de la plus profonde misère à l’opulence en le livrant, et qui n’y pensèrent seulement pas ; autre preuve de la bonté naturelle.

Il n’est pas nécessaire de vous avertir que je suis toujours notre conversation, vous vous en apercevez bien. Le père Hoop avait un ami à la bataille qui se donna entre les montagnards écossais, commandés par le prétendant, et les Anglais. Cet ami était parmi ceux-ci ; il reçoit un coup de sabre qui lui abat une main ; il y avait une bague de diamant à l’un de ses doigts : le montagnard voit quelque chose qui reluit à terre, il se baisse, il met la main coupée dans sa poche, et continue de se battre. Ces hommes connaissent donc le prix de l’or et de l’argent, et s’ils ne livrèrent pas le prétendant, c’est qu’ils ne voulaient point d’or à ce prix.

Vous voyez, mon amie, que nous faisions très-bien les honneurs de la maison à ceux qui nous visitaient. Nous avions un militaire, et nous l’avons fait parler guerre, tout son bien aise. Nous avons appris de lui des choses que nous ne savions pas ; nous avons été polis ; ce qui vaut beaucoup mieux que de lui avoir répété celles que nous savions, et qu’il pouvait ignorer.

Le baron de Dieskau a servi longtemps sous le maréchal de Saxe. Il avait coutume de passer l’automne avec lui au Piple, maison voisine du Grandval, qui appartient maintenant à Mme  de La Bourdonnaye. Cette femme y passe toute l’année, seule avec son amant ; vous ajouterez en vous-même : Que lui faut-il de plus ?

Il nous parla beaucoup du maréchal, de ses occupations, de ses amours, de ses campagnes, des actions périlleuses auxquelles il avait eu part, des nations qu’il avait parcourues, etc., etc.

Ah ! mon amie ! quelle différence entre lire l’histoire et entendre l’homme ! Les choses intéressent bien autrement. D’où vient cet intérêt ? Est-ce du rôle de celui qui raconte, ou du rôle