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autres considérations sous-entendues, faisaient une restriction tacite à leurs aveux ; au lieu que ceux qui étaient liés par quelques vœux solennels qui les séparaient étaient censés avoir pris parti sur cet obstacle, lorsqu’ils s’expliquaient une fois. Elle tombe des nues, quand je lui parle ainsi ; et quand elle dit à un homme : Je vous aime, savez-vous ce que cela signifie ? Je n’accepte de vous que les qualités qui manquent à mon mari, et mon mari n’est pas impuissant. Puis, quand elle a trouvé cela, elle est enchantée, elle croit de la meilleure foi du monde avoir découvert le secret de son cœur. Il est vrai que je n’ai pas la complaisance de lui laisser longtemps cette illusion. Mais si cela est, lui dis-je, qu’avez-vous besoin d’un amant ? Moi qui suis votre ami, votre sœur qui vous aime si tendrement, ne vous offrons-nous pas, ensemble ou séparés, les qualités qui manquent à votre époux ? Peu à peu je l’amène à reconnaître qu’elle désire vraiment quelque chose de plus que ce qu’elle avoue, qu’il y a des caresses que nous ne lui proposons jamais l’un et l’autre, et qui lui seraient douces, et elle en convient ; que, s’il y avait sous le ciel un homme en qui elle eût assez de confiance pour espérer qu’il se renfermerait dans de certaines bornes, elle aimerait à s’asseoir sur ses genoux, à sentir ses bras la serrer tendrement, à lire la passion la plus vive dans ses regards, à approcher son front, ses yeux, ses joues, sa bouche même de sa bouche, et elle en convient ; qu’après quelques essais de tout ce qu’elle peut attendre de la retenue d’un pareil amant, peut-être elle oserait un jour se livrer à toute l’ivresse de son âme et de ses sens, et elle en convient encore ; mais ce que je lui prédis et ce dont elle ne convient ni ne disconvient tout à fait, c’est qu’elle sentirait tôt ou tard qu’elle pourrait être plus heureuse ; que cette jouissance, toute voluptueuse qu’elle l’aurait éprouvée, lui paraîtrait incomplète ; que cette retenue qu’elle aurait si journellement exigée, et qu’on aurait si scrupuleusement gardée avec elle et dans des instants si difficiles, finirait par la blesser ; que plus elle serait honnête, plus elle saurait mauvais gré à son amant de la laisser impitoyablement lutter entre sa passion et sa vertu ; qu’elle le bouderait le lendemain sans trop savoir pourquoi ; mais que, si elle voulait un peu regarder au fond de son cœur, elle verrait que, tout en louant son amant de la fidélité scrupuleuse avec laquelle il se serait sou-