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du Soleil. Douze pavillons isolés et à moitié enfoncés dans la forêt, autour du jardin, représentent les douze signes du zodiaque. Il règne dans toutes ces parties des proportions si justes, que le pavillon du milieu vous paraît d’une étendue ordinaire ; et quand vous venez à la mesurer, vous trouvez qu’il a quatre mille neuf cents pas de surface. Si l’on ouvre les portes, c’est alors que vous êtes surpris par la hauteur et l’étendue. Le milieu de l’édifice est occupé par un des plus beaux salons qu’il soit possible d’imaginer. J’y entrai, et quand je fus au centre, je pensai que c’était là que tous les ans le monarque se rendait une fois pour renverser avec une carte la fortune de deux ou trois seigneurs de sa cour.

Au milieu de ce jardin et de l’admiration que je ne pouvais refuser à Le Nôtre, car c’est, je crois, son ouvrage et son chef-d’œuvre, je ressuscitais Henri IV et Louis XIV. Celui-ci montrait au premier ce superbe édifice ; l’autre lui disait : « Vous avez raison, mon fils, voilà qui est fort beau ; mais je voudrais bien voir les maisons de mes paysans de Gonesse. » Qu’aurait-il pensé de trouver tout autour de ces immenses et magnifiques palais, de trouver, dis-je, les paysans sans toit, sans pain, et sur la paille !

Vos lettres me parviendront franches et plus promptement ; ainsi nulle inquiétude sur ce point.

C’est cette succession perpétuelle d’occupations utiles et variées qui rend le séjour de la campagne si doux, et celui de la ville si maussade à ceux qui ont pris le goût des occupations des champs.

Pourquoi, plus la vie est remplie, moins on y est attaché ? Si cela est vrai, c’est qu’une vie occupée est communément une vie innocente ; c’est qu’on pense moins à la mort et qu’on la craint moins ; c’est que, sans s’en apercevoir, on se résigne au sort commun des êtres qu’on voit sans cesse mourir et renaître autour de soi ; c’est qu’après avoir satisfait pendant un certain nombre d’années à des ouvrages que la nature ramène tous les ans, on s’en détache, on s’en lasse ; les forces se perdent, on s’affaiblit, on désire la fin de la vie, comme après avoir bien travaillé on désire la fin de la journée ; c’est qu’en vivant dans l’état de nature on ne se révolte pas contre les ordres que l’on voit s’exécuter si nécessairement et si universellement ; c’est qu’après