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l’église de Saint-Pierre de Rome ; c’est une des plus belles formes qu’il fût possible de choisir. Son élégance frappe et enchante tout le monde. La largeur était donnée ; il s’agissait d’abord de déterminer la hauteur. Je vois l’architecte tâtonnant, ajoutant, diminuant de cette hauteur jusqu’à ce qu’enfin il rencontrât celle qu’il cherchait et qu’il s’écriât : La voilà. Lorsqu’il eut trouvé la hauteur, il fallut après cela tracer l’ovale sur cette hauteur et cette largeur. Combien de nouveaux tâtonnements ! combien de fois il effaça son trait pour en faire un autre plus arrondi, plus aplati, plus renflé, jusqu’à ce qu’il eût rencontré celui sur lequel il a achevé son édifice ! Qui est-ce qui lui a appris à s’arrêter juste ? Quelle raison avait-il de donner la préférence, entre tant de figures successives qu’il dessinait sur son papier, à celle-ci plutôt qu’à celle-là ? Pour résoudre ces difficultés, je me rappelai que M. de La Hire, grand géomètre de l’Académie des sciences, arrivé à Rome dans un voyage d’Italie qu’il fit, fut touché comme tout le monde de la beauté du dôme de Saint-Pierre. Mais son admiration ne fut pas stérile ; il voulut avoir la courbe qui formait ce dôme ; il la fit prendre, et il en chercha les propriétés par la géométrie. Quelle ne fut pas sa surprise, lorsqu’il vit que c’était celle de la plus grande résistance ! Michel-Ange, cherchant à donner à son dôme la figure la plus belle et la plus élégante, après avoir bien tâtonné était tombé sur celle qu’il aurait fallu lui donner, s’il eût cherché à lui donner le plus de résistance et de solidité. À ce propos, deux questions : Comment se fait-il que la courbe de plus grande résistance dans un dôme, dans une voûte, soit aussi la courbe d’élégance et de beauté ? Comment se fait-il que Michel-Ange ait été conduit à cette courbe de plus grande résistance ? Cela ne se conçoit pas, disait-on ; c’est une affaire d’instinct. Et qu’est-ce que l’instinct ? Oh ! cela s’entend de reste. Je dis à cela que Michel-Ange, polisson au collège, avait joué avec ses camarades ; qu’en luttant, en poussant de l’épaule, il avait bientôt senti quelle inclinaison il fallait qu’il donnât à son corps pour résister le plus fortement à son antagoniste ; qu’il était impossible que cent fois dans sa vie il n’eût pas été dans le cas d’étayer des choses qui chancelaient, et de chercher l’inclinaison de l’étai la plus avantageuse ; qu’il avait quelquefois posé des livres les uns sur les autres, que tous se débordaient, et qu’il