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y est entraînée par un motif des plus importants. S’il était question de goûter un plaisir exquis, une volupté délicieuse, un transport ravissant, un moment de félicité au-dessus de toute idée, peut-être rabattriez-vous un peu de votre jansénisme ! Et vous ne pensez pas que c’est un dégoût insupportable qui nous attend ! et que, à tout bien prendre, ce devoir est la véritable expiation du plaisir défendu qu’on a pris. J’ai quelquefois entendu parler des femmes sur ce point ; toutes étaient d’accord que c’était un horrible supplice. Eh bien ! nous y voilà résolus. L’héroïsme est d’autant plus grand, que le sacrifice de soi-même répugne davantage. Combien nous allons mériter, si votre préjugé ne s’y oppose plus ! Songez donc que celui qu’on va recevoir dans ses bras est un homme qu’on méprise, et qu’on haït ; songez qu’il se chargera de tous les frais du péché ; songez que nous n’y mettrons pas un atome du nôtre ; songez que nous serons plus passive et plus immobile qu’une statue de marbre ; songez que, s’il nous échappe quelques mouvements insensibles, quelque signe de vie, ce sera d’impatience et non de plaisir ; songez que ceci est l’ouvrage tout pur de la raison, que le cœur et les sens n’y seront pour rien ; c’est un acte de pénitence, s’il en fut jamais. S’il nous survenait une maladie là, n’y aurait-il pas de la folie à se refuser à l’application d’un instrument, s’il était nécessaire ; et quelle plus fâcheuse maladie que de mourir pendant trente ans de soif et de faim ? Quelle différence mettez-vous en pareil cas entre un homme de cette trempe et un instrument de chirurgie ? Et puis, ne dirait-on pas qu’il en soit de cette affaire comme du vol, de la calomnie, du meurtre et d’une infinité d’autres actions qui sont mauvaises en tout temps et partout ? Rentrez pour un moment dans l’état de nature ; pour Dieu, dites-moi ce que c’est.

À présent, venons à vous, mademoiselle. Eh bien ! vous ne voulez donc pas qu’on ait la complaisance pour cette honnête créature, qui a le sens assez droit pour sentir que le mariage est un sot et fâcheux état, et qui a le cœur assez bon pour vouloir être mère, de lui faire un enfant ? Vous l’appelez tête bizarre ? Vous craignez qu’elle ne prenne du goût pour le plaisir, qu’on ne prenne du goût pour elle ? Vous la trouvez présomptueuse de se croire capable de bien élever. Halte là, s’il vous plaît. Elle a l’expérience par-devers elle. Après avoir fait supé-