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ment de belles vieillesses en hommes et en femmes ; mais il y a bien de la différence entre être un beau vieillard et avoir une belle vieillesse. Peut-être n’est-on pas un beau vieillard sans avoir une belle vieillesse, et encore dis-je peut-être ; mais on peut certainement, et rien n’est plus commun que d’avoir une belle vieillesse et n’être pas un beau vieillard. J’y ai rêvé un moment, et il me semble qu’il y a des raisons physiques et morales de cette distinction des deux sexes dans un âge avancé. Les femmes semblent n’être destinées qu’à notre plaisir. Lorsqu’elles n’ont plus cet attrait, tout est perdu pour elles ; aucune idée accessoire qui nous les rende intéressantes, surtout depuis qu’elles ne nourrissent ni n’élèvent leurs enfants. Autrefois une gorge flétrie était encore belle ; elle avait allaité tant d’enfants ! Dans la douleur, une mère déchirait son vêtement, découvrait sa poitrine, et conjurait son fils par ce sein qui l’avait nourri : ce n’est plus cela. S’il était possible qu’il y eût une belle tête de vieille, les haillons qui la couvrent la dépareraient. Nous, nous avons la tête nue ; on voit la forêt de nos cheveux blancs ; une longue barbe rend notre visage respectable ; nous conservons sous une peau ridée et brunie des muscles fermes et solides. La nature douce, molle, replète, arrondie de la femme, toutes qualités qui font qu’elle est charmante dans la jeunesse, font aussi que tout s’affaisse, tout s’aplatit, tout pend dans l’âge avancé. C’est parce qu’elles ont beaucoup de chair et de petits os à dix-huit ans qu’elles sont belles ; c’est parce qu’elles ont beaucoup de chair et de petits os que toutes les proportions qui forment la beauté disparaissent à quatre-vingts ans. Quelle différence de front et de joues d’un vieillard et d’une vieille ; de leurs bras, des épaules, de la poitrine, du dos, des cuisses et du reste ! Nous changeons sans doute comme les femmes avec le temps ; mais le temps ne nous décompose pas autant qu’elles. Les proportions s’altèrent moins partout, parce que partout nous avons les chairs plus compactes, les muscles plus durs et toute la charpente plus grosse. Les exemples que vous me citez ne sont pas de belles vieilles, prenez-y garde : mais de vieilles qui paraissent jeunes, qui n’avaient pas leur âge, ou qui avaient une belle vieillesse. Une belle vieille a rapport à la beauté ; une belle vieillesse a rapport à la santé. Je cause librement de tout cela avec vous, mes amies, parce que vous avez l’esprit excellent,