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qu’elles aimeraient bien autant être seules. Si vous vous attachiez adroitement à lui rendre son ignorance incommode, peut-être se déterminerait-il à s’instruire ; essayez.

Honnête ou fripon, il faut donner un écu à Roger, et six francs à Mlle Clairet.

Ce que je ferais à votre place ? Je n’assoirais pas légèrement le plus grand de tous le soupçons. On n’est pas coupable pour n’oser lever les yeux ; innocent, on les baisse quelquefois pour ne pas regarder celui qui accuse injustement et nous offense.

Les habitants de Genève ont fort embarrassé leurs ministres ; on ne sait encore ce que cela deviendra.

Les Jésuites ont été jugés vendredi au soir ; à minuit, les chambres étaient encore assemblées. Aussitôt que les arrêts paraîtront, je les ferai partir pour Isle[1].

Il y a deux nouveaux papiers sur l’affaire des Calas ; ce sont des espèces de requêtes adressées à M. le chancelier par les frères ; si on ne les imprime pas incessamment, je vous les ferai copier[2].

Vous êtes étonnée de l’atrocité de ce jugement de Toulouse ; mais songez que les prêtres avaient inhumé le fils comme martyr, et que, s’ils avaient absous le père, il aurait fallu exhumer et traîner sur la claie le prétendu martyr. Il y a un des juges qui en a perdu la tête. C’est Voltaire qui écrit pour cette malheureuse famille. Oh ! mon amie, le bel emploi du génie ! Il faut que cet homme ait de l’âme, de la sensibilité, que l’injustice le révolte, et qu’il sente l’attrait de la vertu. Eh ! que lui sont les Calas ? qui est-ce qui peut l’intéresser pour eux ? quelle raison a-t-il de suspendre des travaux qu’il aime, pour s’occuper de leur défense[3] ? Quand il y aurait un Christ, je vous assure que Voltaire serait sauvé.

Adieu, ma bonne et tendre amie. Si je vous aime ? De toute

  1. L’arrêt d’expulsion des Jésuites est du 6 août 1762.
  2. Mémoires de Donat Calas pour son père, sa mère et son frère, suivis d’une Déclaration de Pierre Calas. Ces deux factums, qui portent la date des 22 et 23 juillet 1762, sont compris dans les Œuvres de Voltaire.
  3. Voltaire répondait à M. d’Argental, qui lui demandait sa tragédie d’Olympie pour la Comédie-Française : « N’espérez point tirer de moi une tragédie que celle de Toulouse ne soit finie. »