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et depuis ils sont tous devenus jaloux et chagrins des regrets de leurs parents. Voici un trait de ressentiment d’un enfant qui se croyait haï de son père : le père mourut et l’enfant frappait d’un fouet le cadavre en l’insultant. J’ai vu cela ; je ne sais pourquoi je me rappelle et vous redis cette horreur. Les enfants sont vindicatifs et cruels.

Voici un passage du Métastase qui est bien vrai, et qui peint fortement la tendresse des mères ; il en introduit une qui a perdu son fils, et que l’on cherche à résigner à son sort par l’exemple d’Abraham, qui avait conduit le sien sur la montagne ; il lui fait répondre : Ah ! Dieu n’aurait jamais donné cet ordre à sa mère ! Nous enlevâmes la nôtre le premier jour, et nous la conduisîmes hors de chez elle ; le second jour, nous la promenâmes à l’Étoile ; le troisième, à Vincennes ; deux endroits où j’ai passé des moments tristes et des moments doux. Hier, je lui fis compagnie toute la soirée. Damilaville était allé à la Briche malgré le mauvais temps ; nous y dînerons aujourd’hui. J’aime mieux essuyer les larmes de ceux qui sont malheureux que de partager la joie des autres.

Vous devez avoir maintenant à côté de vous la chère sœur et votre neveu. Quand vous aurez embrassé notre Uranie mille fois pour vous, vous l’embrasserez deux ou trois fois pour moi, où vous voudrez, sur les yeux, sur le front, sur les joues ; mais j’aime mieux sur le front ; c’est là que son âme réside. Si la résolution qu’elle a prise de s’apprivoiser tient encore, dites-lui de prendre garde de semer des fleurettes sur une belle étoffe pleine et unie. Il faut bien du goût et de l’art pour faire serpenter une guirlande autour d’une colonne sans détruire sa noblesse. Toutes ces petites vertus de société auxquelles elle ne se pliera jamais de bonne grâce ne vont point avec la franchise et la sévérité de son caractère. Madame Le Gendre, mon Uranie, jolie, polie, attentive, prévenante, affable, souriante, souple, révérencieuse ? Cela ne se peut. Qu’elle reste comme Nature l’a faite, grave, sérieuse, noble et pensante. Nature l’a faite grande et noble ; la voilà qui se fait petite et jolie. Si elle prend pour tout le monde cet air charmant qu’elle a pour nous quelquefois, comment en serons-nous touchés ?

J’ai bien peur que ce petit neveu, dont vous disposez comme il vous plaît, ne se trouve souvent entre ses deux tantes, lors-