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et s’abaisser ? Est-ce qu’au milieu de cette rêverie-là les sens sont tranquilles ? Allez, celui qui s’y trompe est plus bête… — Mais est-ce que vous trouvez cela si bête ? — Sans doute… » etc. etc.

J’ai été témoin, il n’y a pas longtemps, d’une bonne action et bien faite. Une pauvre femme avait un procès contre un prêtre de Saint-Eustache ; elle n’était pas en état de le poursuivre, un honnête homme indigné s’en est chargé. On a gagné ; mais lorsqu’on a été chez le prêtre pour mettre la sentence à exécution, il n’y avait plus ni prêtre, ni meubles, ni quoi que ce soit. Cela n’a pas empêché la pauvre femme de sentir l’obligation qu’elle avait à son protecteur ; elle est venue l’en remercier, et lui témoigner le regret qu’elle avait de ne pouvoir lui rembourser les frais de la plaidoirie. En causant, elle a tiré une mauvaise tabatière de sa poche, et elle ramassait avec le bout de son doigt le peu de tabac qui restait au fond ; son bienfaiteur lui dit : « Ah ! vous n’avez point de tabac ; donnez-moi votre tabatière que je la remplisse. » Il a pris la tabatière et il a mis deux louis au fond qu’il a couverts de tabac. Voilà une action généreuse qui me convient, et à vous aussi, n’est-ce pas ? Donnez ; mais, si vous pouvez, épargnez au pauvre la honte de tendre la main.

Nous avons eu, Grimm et moi, lundi matin, une grande conversation ; je ne vois goutte au fond de son âme, mais je ne saurais la soupçonner. C’est, depuis deux ans, toujours à son avantage que les choses obscures se sont éclaircies. Sa conduite ressemble comme deux gouttes d’eau à celle de Grandisson dans les premiers volumes ; il sent bien qu’il a contre lui les apparences et le jugement des indifférents dont il ne se soucie guère. Au reste, il dit que si nous allons jamais à Rome, il m’expliquera le mystère de sa conduite dans le Panthéon.

Je viens de recevoir un billet de cette pauvre Mme Riccoboni, Elle est désolée ; elle ne peut digérer les impertinentes satires qu’on fait d’elle et de ses ouvrages ; elle dit : « Si un coquin cassait les fenêtres d’une blanchisseuse, le commissaire en ferait justice ; on m’ôte mon ouvrage, on m’insulte, et personne ne dit mot. » Eh bien ! voilà donc le fond de l’âme d’un auteur ; il veut plaire même à ceux qu’il méprise ; l’éloge de mille gens d’honneur, d’esprit et de goût ne le console pas de la critique d’un sot ; il oublie la voix douce et flatteuse de ceux-ci, et le