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LETTRE AU R. P. BERTHIER.

épigraphes : j’avais simplement voulu vous annoncer que ma lettre ne vous ferait point de mal ; et j’ai bien peur de m’être trompé : vous parlez de santé, comme si mes compliments vous donnaient la fièvre ; du reste, quand je voudrais bien vous regarder comme un bon seigneur romain, je n’en serais pas plus disposé à jouer avec vous le rôle de la dame Arria.

Vous observez très-subtilement qu’il est dangereux d’écrire sur d’autres matières que de pure littérature ; je ne serai pas longtemps, mon Révérend Père, sans vous en convaincre par vous-même. Si le docteur judicieux qui approuve votre Journal se ressouvient des grands éloges que vous avez donnés à l’Encyclopédie, je crains bien que votre imprimeur ne les ait oubliés. Je n’ignore point la différence qu’il y a entre les Journaux de Trévoux et les Journaux des Navigateurs, ni la figure que les uns et les autres font dans le monde ; et vous ne devez pas appréhender, mon Révérend Père, que je vous confonde jamais avec l’amiral Anson[1]. Le seul rapport que je pourrais trouver entre un voyageur et un journaliste, c’est qu’ils ne disent pas toujours la vérité ; mais cette ressemblance est usée, et ne saurait vous convenir. Votre censeur qui, avec tant de jugement, a si bonne mémoire, ressemblerait peut-être davantage à certains voyageurs qui se souviennent de la meilleure foi du monde de ce qu’ils n’ont jamais vu. Le critique dont vous me parlez, et dont vos grands éloges ont fait arrêter le grand écrit à trois parties, ne m’est pas aussi inconnu qu’à vous. Je l’aurais deviné aux trois divisions. Il a de très-bonnes raisons pour médire de vive voix de l’Encyclopédie ; mais il pourrait en avoir de meilleures pour n’en rien dire par écrit. Je n’ai jamais prétendu, mon Révérend Père, à l’immortalité : le voyage est trop long pour ne pas craindre de rester en chemin, surtout lorsqu’on se charge d’y mener ceux qui n’y vont pas, ou de retarder ceux qui y vont seuls. Je sais que les divisions de la branche philosophique sont fort étendues dans Bacon ; mais je crois qu’elles sont fort différentes dans l’arbre encyclopédique : et vous êtes, mon Révérend Père, de si bonne foi et de si bonne volonté, que je suis très-reconnaissant de la peine que vous voulez bien prendre d’en dire un mot. Vous n’oublierez pas, sans doute, cette fois-ci, de rappeler l’aveu que

  1. Né dans le Staffordshire, en 1697, mort à Moore-Park le 6 juillet 1702. (Br.)