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manuscrit se fût échappé seul de la fameuse bibliothèque d’Alexandrie, il eût été capable de nous consoler de la perte des autres.

Voilà ce que nous avions à exposer au public sur les sciences et les beaux-arts. La partie des arts mécaniques ne demandait ni moins de détails, ni moins de soins. Jamais peut-être il ne s’est trouvé tant de difficultés rassemblées, et si peu de secours pour les vaincre. On a trop écrit sur les sciences, on n’a pas assez bien écrit sur la plupart des arts libéraux, on n’a presque rien écrit sur les arts mécaniques ; car qu’est-ce que le peu qu’on en rencontre dans les auteurs, en comparaison de l’étendue et de la fécondité du sujet ? Entre ceux qui en ont traité, l’un n’était pas assez instruit de ce qu’il avait à dire, et a moins rempli son objet que montré la nécessité d’un meilleur ouvrage : un autre n’a qu’effleuré la matière, en la traitant plutôt en grammairien et en homme de lettres qu’en artiste : un troisième est, à la vérité, plus riche et plus ouvrier ; mais il est en même temps si court, que les opérations des artistes et la description de leurs machines, cette matière capable de fournir seule des ouvrages considérables, n’occupent que la très-petite partie du sien. Chambers n’a presque rien ajouté à ce qu’il a traduit de nos auteurs. Tout nous déterminait donc à recourir aux ouvriers.

On s’est adressé aux plus habiles de Paris et du royaume. On s’est donné la peine d’aller dans leurs ateliers, de les interroger, d’écrire sous leur dictée, de développer leurs pensées, d’en tirer les termes propres à leurs professions, d’en dresser des tables, de les définir, de converser avec ceux dont on avait obtenu des mémoires, et (précaution presque indispensable) de rectifier, dans de longs et fréquents entretiens avec les uns, ce que d’autres avaient imparfaitement, obscurément, et quelquefois infidèlement expliqué. Il est des artistes qui sont en même temps gens de lettres ; et nous en pourrions citer ici ; mais le nombre en serait fort petit : la plupart de ceux qui exercent les arts mécaniques ne les ont embrassés que par nécessité, et n’opèrent que par instinct. À peine, entre mille, en trouve-t-on une douzaine en état de s’exprimer avec quelque clarté sur les instruments qu’ils emploient et sur les ouvrages